Pablo Servigne: « On vit une crise cardiaque du modèle industriel globalisé »

LR: Pablo Servigne  était très médiatisé dans la mesure où sa critique même globale, ne désignait pas d’ennemis ni des moyens à mettre en oeuvre pour les combattre et les renverser, puisqu’il en va de « la survie de l’humanité ». Cet positionnement en a fait un « personnage médiatique » comme tant d’autres avant lui, avec la fonction sociale d’éluder les systèmes, ses structures, ses responsables et ses bénéficiaires. Dissimulant ainsi le fait que ceux-là, avec leurs alliés sont disposés à mener contre nous des guerres impitoyables pour conserver leurs privilèges. Les crises en cours vont radicaliser son discours jusque là inoffensif, il va devoir passer du monde des « colibris » à celui de la mobilisation sociale anti-capitaliste et révolutionnaire, au risque d’être beaucoup moins médiatisé. Gageons que les crises actuelles, par leurs dynamiques vont précipiter dans l’action des masses immenses, elles seules pourront renverser le cours de l’histoire en imposant la solidarité et la coopération contre l’inclinaison barbare. Pablo Servigne aura contribué à l’éveil des consciences, encore un effort Pablo, pour se mettre en marche ! Comme disait Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».

Lire une analyse critique de la « Collabsologie »: « Crise climatique, collapsologie…. L’ingénieur agronome Daniel Tanuro refuse de se résigner » http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article51031

Pablo Servigne, pionnier de la collapsologie : « On vit une crise cardiaque du modèle industriel globalisé »

France Inter par Louis-Valentin Lopez publié le 4 avril 2020 à 16h40

Pablo Servigne est l’un des créateurs de la « collapsologie », qui étudie l’effondrement possible de la civilisation industrielle. Il revient pour France Inter sur la brutalité de la crise du coronavirus, qui met en évidence selon lui la vulnérabilité de notre modèle de société. Et donne l’occasion d’y réfléchir.

Pablo Servigne est l’un des pionniers de la collapsologie, approche qui s’intéresse à l’effondrement possible de notre civilisation.

© Maxppp / Guillaume Bonnefont

Le coronavirus signe-t-il l’effondrement de notre civilisation ?

Philosophiquement, oui, scientifiquement, il est trop tôt pour le dire, selon l’essayiste et théoricien de la collapsologie Pablo Servigne, qui s’exprime dans les médias pour la première fois depuis le début de la crise. Selon lui, le coronavirus agit comme une « radiographie de la vulnérabilité de notre monde ».  Qui sont les plus touchés ? Quelles leçons à tirer ? Entretien.

FRANCE INTER : Vous êtes l’un des pionniers de la collapsologie, une approche qui s’intéresse à l’effondrement possible de notre civilisation. Peut-on percevoir les premiers signes d’un « effondrement » à l’aune de l’épidémie ?

PABLO SERVIGNE : « C’est effectivement la question que tout le monde se pose. Effectivement, la pandémie de coronavirus peut être un premier domino d’enchaînements plus graves, qui pourraient être considérés comme un  « effondrement ». Philosophiquement, ma posture est de considérer qu’on est en train de vivre un effondrement, ça change tout ! L’effondrement (au singulier) est un récit très puissant. Mais scientifiquement on ne peut pas le dire, ce sera aux historiens ou aux archéologues du futur de le déterminer. On ne peut jamais savoir, il y a une incertitude radicale.

C’est une radiographie de la vulnérabilité de notre monde

Cette épidémie, les collapsologues l’envisageaient théoriquement, mais paradoxalement on n’y croyait pas trop. Ce choc est tellement rapide, brutal et global… En quelques semaines, le monde s’est arrêté !

C’est une expérience grandeur nature qui montre à quel point notre monde industriel est à la fois puissant et vulnérable : un colosse aux pieds d’argile. »

Si l’effondrement devait se produire, de quelle nature serait-il ? Économique ? Écologique ? Climatique ? Tout à la fois ?

« Il ne faut surtout pas prendre cette pandémie comme une question uniquement sanitaire. L’effondrement, s’il se produit, sera systémique : la crise actuelle touche la finance, l’économie, les écosystèmes, le politique, le géopolitique, l’alimentation… En général, quand il y a crise financière, cela peut entraîner une crise économique, qui débouche en crise politique et sociale, ce qui a des conséquences sur les écosystèmes et sur les systèmes alimentaires. Et qui dit famine et environnement dégradé, dit maladies, car on est affaibli en cas de famine, puis autres crises politiques et sociales graves, etc.

Durant la pandémie, beaucoup de gens se sont retrouvés au chômage. Des entreprises vont faire faillite. Quand l’économie est touchée si gravement, si aucune mesure gouvernementale radicale n’est prise (comme par exemple le revenu universel de base), il y a des crises sociales, des émeutes, des insurrections ou des votes fascistes, etc. Ça peut donc rapidement déboucher sur des crises politiques, par exemple des gouvernements autoritaires.

On vit un crise cardiaque du modèle industriel globalisé. Plus on attend, plus ça se nécrose, et on ne pourra plus repartir comme avant. Il faudra réinventer beaucoup de choses.
De plus, cela peut donner lieu à des crises géopolitiques. On voit actuellement qu’il y a une compétition entre les pays pour des ressources. Il y a des renforcements identitaires. L’Europe, par exemple, risque d’exploser avec la crise. Le défi européen est très fort en ce moment, c’est le moment de revoir les fondamentaux européens, et de lâcher le dogme compétitif pour graver dans le marbre la coopération. »

« Cela dépend des domaines. Dans la finance, par exemple, il y a des petits malins qui ont parié sur le malheur des autres et qui vont s’en tirer. Certains traders ont parié sur la pandémie, et se sont fait beaucoup d’argent. Et d’autres ont beaucoup perdu.

Dans l’économie, il y a toujours de gens qui vont s’en sortir. Par exemple ceux qui vendent les biens de première nécessité, comme de la nourriture, des médicaments… En tout cas mieux que ceux qui font du théâtre ou des livres !

Un autre gagnant, c’est le monde vivant. C’est une bonne leçon pour nous : ça montre qu’il y a une résilience très rapide de certains écosystèmes, et qu’il y a un réelle opportunité de redonner de la place à nos alliés non-humains.

Plus généralement, les grands perdants sont toujours les classes précaires, les pauvres, et je serais tenté d’y inclure les classes moyennes. Que la situation soit « normale » ou catastrophique, ils trinquent. Les petits pays du Sud aussi risquent de souffrir, il y a un internationalisme à redéployer. Et puis actuellement, en cette période de pandémie, les victimes, ce sont évidemment les personnes âgées. »

Selon vous, la crise du coronavirus peut-elle aussi être considérée comme une « bonne nouvelle », dans le sens où elle va susciter des prises de conscience ?

« Toute crise est une opportunité. Quelles sont-elles ici ? Il y en a plein ! C’est une énorme brèche. C’est l’occasion de proposer des mesures audacieuses, plus audacieuses encore que la reconstruction de l’après-guerre. Ici, les élites et les peuples sont sidérés. Plutôt que d’attendre que les capitalistes et les autoritaristes fassent passer des mesures antisociales et liberticides, nous pouvons profiter de cette brèche pour faire passer de mesures en faveur du bien commun et des services publics.

Le néo-libéralisme a pris un sacré coup dans l’aile

C’est une occasion en or de revenir sur des fondamentaux. Retrouver, par exemple, l’autonomie alimentaire en France. Ou aller vers un État providence puissant, qui prenne soin, tout en évitant la dérive vers un État régalien autoritaire et de surveillance généralisée.

Retrouver la lenteur, aussi. Le lien avec nos voisins. Le retour du vivant : on voit bien qu’il ne s’agit plus de protéger le vivant, mais le régénérer, lui redonner de la place. On a aussi une opportunité de revoir notre système de santé, et la manière dont on prend soin de nos anciens. Tout est à revoir.

Le système des Ehpad c’est un processus industriel, c’est affreux. Il faut revenir à des systèmes conviviaux, dignes. 

Revoir notre rapport aux migrants, également. Quand on voit le Portugal qui régularise les sans-papiers pour qu’ils aient accès aux soins, on se dit que tout est possible. Sans compter qu’on aura besoin de compétences et de main d’œuvre dans les mois qui viennent, pour reconstruire un pays décent et digne.

En collapsologie, il y a deux écueils à éviter : le premier, c’est de dire que « tout est foutu ». Le deuxième, dire que « tout ira bien ».

On a besoin d’optimistes et de pessimistes actifs, qui se préparent aux multiples chocs à venir, et pas d’optimistes et de pessimistes passifs, dans le déni. »

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