En pleine crise du Covid, il avait osé dire que les personnes hospitalisées étaient celles qui n’avaient pas respecté le confinement. Deuxième bourde, après celle où il se disait «pas du même camp» qu’une «gilet jaune». On a donc voulu en savoir un peu plus sur ce préfet choisi par Macron. Rarement personnalité aura fait autant l’unanimité dans la détestation. Partout où il passe, il laisse un souvenir impérissable : dur, froid, aimant le conflit. Mais ses compétences, aussi, commencent à être décriées. Enquête.
Rarement personnalité aura suscité autant de détestation. « Il a une très haute idée de lui-même, ce qui fait qu’il est très difficile de travailler à ses côtés », rapporte un ancien collaborateur. « Il s’épanouit dans le conflit », dit un autre. Arrivé à la préfecture de Paris, il réunit les syndicats : « Vous connaissez ma réputation, je suis encore pire », lâche-t-il. À la préfecture de la Gironde, son précédent poste, c’était violent. « Vous allez finir sur un croc de boucher », aurait-il lancé lors d’une réunion. Il paraît qu’ils ont sablé le champagne lorsqu’il est parti.
Son fond d’écran de portable ? Un képi de légionnaire.
Il est arrivé à la préfecture de police de Paris dans un contexte particulier, on le sait, celui des « gilets jaunes ». Il remplaçait Michel Delpuech, viré car considéré comme laxiste, notamment après l’incendie du Fouquet’s. C’est Dominique Perben, dont il était directeur de cabinet au ministère des Transports – et qui fait depuis longtemps sa carrière –, qui a soufflé son nom à Macron. Son style iconoclaste et intransigeant n’est pas pour déplaire au président.
Une chose est sûre, Didier Lallement rêvait depuis des années d’être à la « PP », peut-être même d’être policier. Sur le compte Twitter de la préfecture, le 11 avril, on le voit « déguisé » en flic : calot de CRS, tee-shirt blanc et insigne de la BAC de nuit. Sauf que le préfet n’est pas lui-même un policier, et n’est pas censé s’habiller ainsi. C’est même une infraction, sanctionnée par le Code pénal. C’est ballot pour un préfet. Une manière d’assouvir son fantasme des uniformes ? Sur son fond d’écran de portable, il a une photo de képi de légionnaire. Déjà, il avait revêtu une tenue de pompier lorsque Notre-Dame avait brûlé. Il avait insisté aussi pour faire évoluer le costume des préfets lorsqu’il était secrétaire général du ministère de l’Intérieur, mais on lui avait fait comprendre qu’il y avait d’autres priorités que le fétichisme de l’uniforme…
Surtout, est-il à la hauteur de son poste de préfet de police ? « Il passe pour un spécialiste du maintien de l’ordre, alors même qu’il avait peu d’expérience dans ce domaine au moment où il a été nommé à la préfecture de police », nous rapporte-t-on. « On le dit désagréable mais brillant, je n’ai toujours pas vu le deuxième aspect, balance un de nos interlocuteurs. Seul compte pour lui l’ordre public, il est monotâche. » Exit, par exemple, les mauvais chiffres de la délinquance (seul un cambriolage sur dix est élucidé dans la capitale). Pour ce qui est des « gilets jaunes », Lallement est-il vraiment le sauveur de Paris ? « Il est venu avec l’idée de mater la révolte, alors que ça commençait déjà à se calmer. Il y a une sorte de mythologie autour de lui, qu’il a créée, il n’est pas le sauveur de l’ordre public, comme il veut se présenter », nous explique une autre source.
Fidèle à son amour du conflit, n’a-t-il pas d’ailleurs envenimé les choses ? Des notes de septembre 2019 révélées dans la presse montraient que de hauts responsables de la gendarmerie et des CRS déploraient les méthodes prônées par Lallement, en particulier celle consistant à « impacter » les manifestants. Pratiques qu’ils jugeaient « légalement douteuses et aux conséquences politiques potentiellement néfastes ». Certains représentants de syndicats de policiers ne sont pas tendres non plus avec lui, notamment à Bordeaux, où, on le rappelle, plusieurs manifestants ont eu des mains arrachées et des yeux crevés. « Le dispositif mis en place était exagéré. Et mettre des personnes non formées face à des manifestants, ça crée forcément des incidents. » Si même les policiers le disent…
Pour lui, tout est bon pour vanter sa politique de fermeté face aux « gilets jaunes ». Y compris une réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui a eu lieu après l’attentat à la préfecture, en présence des représentants du personnel et des directeurs des services. « Il s’est permis de profiter de cette réunion pour en faire une tribune pour défendre sa méthode, en niant toute violence policière, alors que ce n’était pas le sujet du jour », déplore Frédéric Guillo, représentant de la CGT-préfecture de police de Paris, qui rassemble des personnels administratifs.
« On le dit désagréable mais brillant, je n’ai toujours pas vu le deuxième aspect »
Le conflit, il l’entretient aussi avec la Mairie de Paris. « Les relations n’ont jamais été aussi dégradées entre la maire et le préfet, explique-t-on dans l’entourage d’Anne Hidalgo. Notamment, Lallement adopte un comportement vexatoire à l’égard des élus. » Lorsqu’il siège en tant que préfet au Conseil de Paris, il se met à hausser ostensiblement les sourcils quand un élu parle, ou reste avachi dans son fauteuil. Il balaye en ricanant les questions sur les violences policières. Il aurait même agacé des élus classés à droite, qui n’étaient pas à l’aise avec son manque de distance républicaine. Certains observateurs estiment que Lallement ne serait pas opposé à un retour à l’époque où le préfet de police était le seul maître à bord dans Paris, avant la « création » de la fonction de maire, en 1975. On nous assure toutefois que, depuis la crise du Covid, les relations avec la Mairie se sont améliorées, état d’exception oblige.
Sa personnalité lui a même coûté son poste de secrétaire général du ministère de l’Intérieur, qu’il obtient en 2012, lorsque Manuel Valls devient ministre. « Il se complaît dans le conflit. J’ai eu à gérer de manière assez répétée des relations dégradées entre lui et les différentes directions », raconte Thierry Lataste, qui était directeur de cabinet de Valls. Lallement avait réussi à se mettre à dos les représentants des deux plus grosses entités du ministère : la police et la gendarmerie. À la faveur du changement de ministre, avec l’arrivée de Bernard Cazeneuve, Lallement espère monter en grade et devenir lui-même directeur de cabinet, sans succès. « Il est alors devenu insupportable avec le ministre », nous raconte-t-on, jusqu’à être parfois « insolent ». Lallement a donc été « exfiltré » à la Cour des comptes en 2014. On appelle ça une « sortie élégante ».
On a quand même réussi à trouver un homme qui dit du bien de Didier Lallement. C’est Jean-Pierre Chevènement, qui l’a connu il y a plus de vingt ans. « C’est avant tout un serviteur de l’État, estime le « Che ». Il avait une conception très exigeante du service public, qui confinait peut-être à de l’intransigeance, mais c’est une bonne chose. » Dans sa jeunesse, Lallement militait au Ceres, le courant de Chevènement, mais il a surtout été son directeur général des collectivités locales quand le « Che » était ministre de l’Intérieur. Lallement devient ainsi, en 1999, un des artisans de loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Un passage réussi, pour lequel il a été « récompensé » avec son premier poste de préfet, dans l’Aisne. C’est ce qui lui a ensuite permis de gravir les marches de la haute fonction publique, « sans avoir passé un seul concours » – ce qui pour certains d’ailleurs ne passe pas. Il a un « beau parcours républicain », lui reconnaissent quelques détracteurs. C’est un habile politique, qui sait louvoyer et activer ses réseaux, certainement. Il paraît qu’il adore les portraits au vitriol que l’on fait de lui, ça forge sa légende. Alors, juste pour l’emmerder, on lui a trouvé quelques qualités. ●
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