Racisme et violences: des mesures annoncées pour l’amélioration de la déontologie policière

BOURSORAMA – AFP08/06/2020
Conférence de presse du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner le 8 juin 2020 à Paris ( POOLAFP / ISA HARSIN )

Le président Emmanuel Macron, qui ne s’est jusqu’ici pas exprimé sur la mort de George Floyd aux Etats-Unis, à l’origine d’un mouvement de protestation mondial, avait demandé au gouvernement « d’accélérer » dans ce dossier.

« 8 minutes 46 secondes. C’est la durée pendant laquelle, George Floyd est resté à terre, le genou d’un policier contre son cou. C’est la durée de l’agonie, de la honte, de la haine. C’est le temps qu’il a fallu pour asphyxier l’honneur », a déclaré le ministre de l’Intérieur lors d’une conférence de presse.

Depuis, « partout, des femmes et des hommes, souvent jeunes, se sont rassemblés pour pousser un puissant cri contre le racisme, contre la haine, contre les discriminations », a-t-il ajouté.

« Ce cri, je l’entends », a dit le ministre à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation au moment où auront lieu ses obsèques à Houston (Texas), rappelant toutefois que « la France, ce n’est pas les Etats-Unis ».

Plusieurs manifestations dénonçant des « violences policières » et le « racisme » se sont déroulées depuis le déconfinement, celles de samedi rassemblant 23.000 participants en France, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

« Aucun raciste ne peut porter dignement l’uniforme de policier ou de gendarme (…) Aussi, j’ai demandé à ce qu’une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’actes ou de propos racistes », a déclaré Christophe Castaner.

Il a aussi annoncé l’abandon de la méthode d’interpellation policière controversée de la « prise par le cou, dite de l’étranglement ».

« Elle ne sera plus enseignée dans les écoles de police et de gendarmerie. C’est une méthode qui comportait des dangers », a ajouté le ministre.

« Par ailleurs, si un policier ou un gendarme doit maintenir quelqu’un au sol lors de son interpellation, il sera désormais interdit de s’appuyer sur sa nuque ou son cou », a-t-il dit.

  – Les syndicats « dubitatifs » –

Une mission avait été créée à la suite de la mort de Cédric Chouviat en janvier lors de son interpellation à Paris. « La police française n’est pas la police américaine », a dit Christophe Castaner « mais des questions légitime se posaient ».

Il a aussi annoncé une réforme « en profondeur des inspections du ministère de l’Intérieur » – l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), son homologue de la gendarmerie (IGGN) et l’inspection générale de l’administration (IGA) – pour « plus d’indépendance ».

Ces annonces ont laissé « dubitatifs » les syndicats de police et notamment l’interdiction de la « technique d’étranglement », « la seule technique qui permette de maîtriser un individu dont le poids est supérieur », selon Frédéric Lagache du syndicat Alliance, qui craint en être « réduit au combat de rue ou à l’utilisation du taser ».

Yves Lefebvre du syndicat Unité-SGP-Police a « l’impression qu’on se sert (des policiers) comme une variable face à l’opinion publique ».

« Il y a les annonces politiques et le réalité du terrain. On dirait que l’on vit dans un monde de bisounours où tout le monde est gentil sauf les policiers qui sont méchants », raille son homologue de l’Unsa-Police Philippe Capon.

Du côté politique, Bruno Retailleau, président des sénateurs LR, a jugé sur twitter qu' »en inventant le concept de +soupçon avéré de racisme+, Christophe Castaner crée de fait une présomption de culpabilité pour les policiers. C’est une lâcheté sémantique et politique de la part du ministre de l’Intérieur qui devrait défendre ses troupes! ».

La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a estimé aussi sur Twitter que « policiers et gendarmes pourront être suspendus sur la base du +soupçon+ de +racisme+: Castaner les met à la merci des pires diffamations. C’est l’ère du soupçon et la présomption de culpabilité pour nos forces de l’ordre! Ceci n’a plus rien à voir avec la loi! ».

« Marine Le Pen raconte comme d’habitude n’importe quoi », a répondu sur BFMTV le secrétaire d’Etat à l’Intérieur Laurent Nuñez. « Quand on décide d’appliquer une suspension administrative il y a une procédure (…), la suspension est décidée sur des faits précis, il n’y a pas une suspicion », a-t-il assuré.

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » en novembre 2018 et son cortège de manifestants blessés, les violences policières sont une épine dans le pied du gouvernement qui refuse systématiquement d’utiliser ce terme.

Et la mort de George Floyd aux Etats-Unis a remis cette question brûlante au cœur du débat en France.

grd-kap/tib/or


Méthodes d’interpellation, propos racistes, contrôles d’identité… Les annonces de Christophe Castaner sur les violences policières

Le ministre de l’intérieur a, par ailleurs, exigé lundi une « tolérance zéro » contre le racisme au sein des forces de l’ordre, lors d’une conférence de presse.

lemonde.fr- Publié le 08/06/2020

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, le 27 mai, à Paris.

Alors que plusieurs rassemblements contre le racisme et les violences policières ont rassemblé 23 300 personnes en France samedi, selon des chiffres du ministère de l’intérieur, le locataire de Beauvau, Christophe Castaner, a tenu, lundi 8 juin, une conférence de presse au « sujet de la question du racisme et de la mise en cause des forces de l’ordre ».

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« Ce cri [contre le racisme, contre la haine, contre toutes les discriminations], je l’entends », a assuré le ministre de l’intérieur. Mais, a-t-il poursuivi, « dans ces manifestations, il y a parfois eu des dégradations, des violences, qui sont le fruit de l’action d’une minorité. Je le regrette et je le condamne fermement. »

« Il n’y a pas d’institution raciste ou de violence ciblée », a martelé Christophe Castaner. « Je ne laisserai pas les agissements odieux de certains jeter l’opprobre sur toute une institution. Ces dernières semaines, trop ont failli dans leur devoir républicain, a-t-il reconnu. Je veux une tolérance zéro contre le racisme dans notre République. »

La méthode « de l’étranglement » interdite

La méthode d’interpellation policière controversée de la « prise par le cou, dite de l’étranglement sera abandonnée », a notamment annoncé ministre. « Par ailleurs, si un policier ou un gendarme doit maintenir quelqu’un au sol lors de son interpellation, il sera désormais interdit de s’appuyer sur sa nuque ou son cou. »

Le ministre n’a toutefois fait aucune référence à une autre technique controversée, celle du plaquage ventral. Les avocats de la famille de Cédric Chouviat, un livreur à scooter mort lors d’une interpellation en janvier, ont demandé lundi, dans une lettre adressée à Christophe Castaner, son interdiction, rapporte Francetvinfo. Les avocats écrivent que le « fait que de telles techniques ne soient pas suspendues alimente la crise de confiance entre la police et la population ».

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Christophe Castaner a aussi annoncé lundi une réforme « en profondeur des inspections du ministère de l’intérieur » – l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), son homologue de la gendarmerie (IGGN) et l’inspection générale de l’administration (IGA) – pour « plus d’indépendance ». Cette réforme « devra permettre plus de cohérence, plus de collégialité entre ses inspections et surtout plus d’indépendance dans leur action vis-à-vis des services », selon le ministre.

« La France, ce n’est pas les Etats-Unis »

Christophe Castaner demandera, en outre, « à ce qu’une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’actes ou de propos racistes. Je veux également que les procédures disciplinaires soient toujours engagées en parallèle des procédures pénales ».

Il a aussi décidé « d’adresser une instruction à tous les services de police et de gendarmerie afin de rappeler le cadre des contrôles d’identité (…). Je demande également que l’usage des caméras-piétons soit renforcé lors des contrôles d’identité. »

« Je ne serai satisfait que lorsque nous pourrons cesser de nous demander comment nous sommes passés des “Vive la police !” scandés lors des manifestations suivant les attentats contre Charlie aux slogans et horreurs de ces derniers jours. »

Il a toutefois nié toute similitude entre les situations américaine et française : « La France, ce n’est pas les Etats-Unis. (…) Avec Laurent Nunez [secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur], nous ne cesserons de défendre l’honneur des forces de l’ordre. (…) Face aux amalgames et aux slogans orduriers, je n’accepterai jamais les accusations permanentes d’une partie bien minoritaire, mais hurlante de la population. »

Le syndicat Alliance « dubitatif »

Du côté du syndicat des gardiens de la paix Alliance, on se dit « dubitatif » face à ces annonces, « notamment sur la suppression de la technique d’étranglement », a déclaré Frédéric Lagache, délégué national. « Dès lors qu’elle est faite dans un court instant, c’est la seule technique qui permette aux agents de maîtriser un individu dont le poids est supérieur », observe-t-il. « Sinon, on en sera réduit au combat de rue ou à l’utilisation du taser », estime-t-il. Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat Unité-SGP-Police, s’interroge également : « si quelqu’un refuse de se faire interpeller et si on n’a plus la clé d’étranglement, qu’est-ce qu’on fait ? »

En envisageant la suspension systématique des policiers soupçonnés d’actes ou de propos racistes, « Castaner les met à la merci des pires diffamations », a réagi la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, sur Twitter. « C’est l’ère du soupçon et la présomption de culpabilité pour nos forces de l’ordre. » Pour Jean-Luc Mélenchon, chef de file des « insoumis », « le plus important, c’est la question de l’unité de la nation. On ne peut pas accepter qu’on considère qu’il y a deux France ou trois France suivant les couleurs de peau. »

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Emmanuel Macron a demandé, dimanche, au gouvernement de lui faire rapidement des propositions pour améliorer la déontologie des forces de l’ordre, face à la multiplication des manifestations contre le racisme et les violences policières.

Selon le cabinet présidentiel, le chef de l’Etat a demandé à Christophe Castaner de « faire aboutir rapidement le travail engagé en janvier dernier », à la suite de la crise des « gilets jaunes » et des manifestations contre la réforme des retraites. « Ce travail redevient une priorité pour le président », assure-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron, alors que de nouvelles révélations sur des paroles racistes proférées par des policiers sur Facebook ou WhatsApp ont enflammé, ces derniers jours, les réseaux sociaux.

Edouard Philippe à la rencontre de policiers mardi

Edouard Philippe se rendra mardi matin à Evry pour rencontrer des policiers qui travaillent dans les quartiers difficiles. Le premier ministre ira à la rencontre de policiers « présents au quotidien dans les quartiers » et « fera le point sur les dispositifs de prévention et de renforcement du lien entre la police et la population mis en place par la direction départementale de la sécurité publique », a précisé Matignon dans un communiqué.

Le chef du gouvernement se rendra ensuite dans les locaux de l’association Génération 2, pour un échange sur l’engagement citoyen et pour rappeler « la détermination du gouvernement à lutter contre toutes les formes de racisme ou de discrimination ».

Mardi à 18 heures, de nouveaux rassemblements et hommages sont par ailleurs prévus dans plusieurs villes de France pour saluer la mémoire de George Floyd, au moment où auront lieu ses obsèques à Houston (Texas), et « combattre le racisme dans la police ». A Paris, SOS Racisme a appelé à un « rassemblement solennel » sur la place de la République pour rendre hommage à cet Afro-américain de 46 ans, tué le 25 mai à Minneapolis par un policier blanc. D’autres rassemblements sont annoncés à Lille, Grenoble, Dijon, Amiens, Bourges, Poitiers et Angers, où la préfecture a pris un arrêté d’interdiction.

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Mort d’Adama Traoré : les deux auditions de juillet étaient prévues avant la manifestation de mardi

Les auditions prévues en juillet de deux témoins dans l’enquête sur la mort d’Adama Traoré étaient programmées avant la manifestation de la semaine passée, a affirmé, lundi 8 juin, le procureur de Paris, répondant ainsi aux déclarations de l’avocat de la famille du jeune homme noir de 24 ans mort en 2016.

« Cette décision des magistrats instructeurs a été annoncée aux parties le 10 avril 2019. Pour l’un des deux témoins, sa mise en œuvre a été retardée par une absence à l’audition programmée le 30 septembre 2019, ce dont les parties ont été informées. Des investigations ont depuis lors été lancées pour le localiser », a précisé Rémy Heitz.

L’avocat de la famille Traoré, Me Yassine Bouzrou, s’était félicité, vendredi, de la tenue prochaine des deux auditions, annoncées mercredi par courriel aux parties. Il avait aussi estimé qu’elles étaient une réponse à la manifestation de mardi, laquelle a rassemblé 20 000 personnes à Paris, à l’appel de la famille de la victime.

M. Heitz a effectué cette rare communication en accord avec les trois magistrats chargés d’enquêter sur la mort du jeune homme au cours de son interpellation par des gendarmes, une affaire depuis érigée par ses proches en symbole des violences policières. Il s’appuie pour cela sur l’article 11 du code de procédure pénale, qui permet à un procureur de communiquer des éléments objectifs de la procédure pour éviter « la propagation d’informations parcellaires ou inexactes »« La justice met tout en œuvre pour parvenir à la manifestation de la vérité sur les circonstances du décès d’Adama Traoré », insiste Rémy Heitz.

Le Monde

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