« On ne laisse pas passer un truc pareil » : à Paris, la détermination des militantes féministes contre la nomination de Gérald Darmanin

Un millier de personnes ont manifesté à Paris contre la récente nomination à l’intérieur de Gérald Darmanin, accusé de viol, et celle, à la justice, d’Eric Dupond-Moretti, très critique envers le mouvement #metoo.

Par Lorraine de Foucher le monde.fr du 11/07/2020

De mémoire de chercheur en sciences politiques, on n’avait rarement vu ça. Des manifestations après la nomination de deux ministres, sans qu’ils aient encore eu le temps de prendre la moindre décision. Vendredi 10 juillet, des femmes se sont mobilisées contre les nominations de Gérald Darmanin, à l’intérieur, et Eric Dupond-Moretti à la justice.

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Depuis l’annonce du nouveau gouvernement, lundi, Alice Coffin, la nouvelle élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) au Conseil de Paris, croisée en bas de l’Hôtel de ville, raconte la sidération, puis la colère qui ont saisi les associations féministes. « Tous les messages disaient la même chose : on va au combat, on ne s’arrêtera pas tant qu’ils resteront en poste ». Derrière elle, deux grands corbeaux de tissus noirs, sur lesquels les noms de ­Darmanin et Dupond-Moretti sont inscrits à la peinture blanche, toisent le millier de manifestants présents sur un parvis presque rempli.

Partout, la foule, très jeune, confirme la détermination décrite par Alice Coffin et perçue sur les réseaux sociaux ces derniers jours. « Darmanin démission »« La culture du viol elle est En marche », « Un complice à la justice, un violeur à l’intérieur » sont scandés plusieurs fois.

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A 23 ans, Claire s’est formée au féminisme au lycée, fascinée par la figure d’Emma Watson, l’actrice de la saga Harry Potter qui s’est engagée pour l’égalité femmes-hommes. Selon elle et son amie Alice, elles sont là aujourd’hui pour montrer « qu’on ne ferme pas les yeux, on ne laisse pas passer un truc pareil, on est là pour les victimes ».

« Devenir un obstacle »

Un millier de personnes à Paris, 600 à Bordeaux, 500 à Lyon, 300 à Toulouse, 200 à Lille… les manifestations féministes organisées à la va-vite sur Instagram et Whats­App n’ont pas encore fait réagir les deux ministères concernés. Marie, étudiante elle aussi, le précise : « Les SMS existent, il a échangé des faveurs sexuelles contre un service, il ne peut pas juste répondre non-lieu et présomption d’innocence” tout le temps. »

Mais cette affaire pourrait poursuivre le nouveau ministre de l’intérieur à chacun de ses déplacements ou de ses prises de parole. « L’Elysée a dit que cette enquête n’était pas un obstacle à sa nomination, alors c’est nous qui allons devenir un obstacle. A chacun de ses pas, il aura désormais sur sa route un obstacle féministe », affirme Alice Coffin.

Et l’ancienne activiste de conclure : « Là, on pourrait remonter la rue de Rivoli, elle est piétonne, et on irait le chercher à Beauvau. C’est ça qu’il faut qu’on fasse : aller le chercher. »


Les militantes féministes ulcérées par les nominations de Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti

Le nouveau ministre de l’intérieur est accusé de viol, et le garde des sceaux a par le passé affiché des positions résolument antiféministes, rappellent-elles.

Par Solène Cordier le monde.fr. Publié le 07 juillet 2020 

Une militante Femen devant l’Elysée, le 7 juillet.

« Plus qu’un affront, c’est une provocation ! » Au lendemain de l’annonce, lundi 6 juillet, de la composition du nouveau gouvernement, les militantes féministes n’en reviennent toujours pas. Elles se disent « sidérées » par les nominations de Gérald Darmanin comme ministre de l’intérieur, malgré une enquête en cours pour viol, et d’Eric Dupond-Moretti à la justice.

Après un non-lieu prononcé en 2018, la cour d’appel de Paris a en effet ordonné, le 11 juin, la reprise des investigations concernant une accusation de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance visant M. Darmanin, qui remonte à 2009. Quant au nouveau garde des sceaux, il s’est distingué à plusieurs reprises pour ses positions défavorables aux mouvements de libération de la parole des victimes, tels que #metoo et #balancetonporc.

Mardi, une vingtaine de féministes qui voulaient manifester devant le ministère de l’intérieur, à l’occasion de la passation des pouvoirs entre Gérald Darmanin et Christophe Castaner, ont été stoppées par les forces de l’ordre. Non loin de la place Beauvau, elles ont scandé des slogans : « Darmanin démission » et « Darmanin violeur », en brandissant des pancartes : « Darmanin à l’intérieur, vous vous torchez avec nos plaintes ». Un rassemblement a ensuite été organisé dans l’après-midi devant l’église de la Madeleine.

Lundi soir, dans la foulée de l’annonce du gouvernement Castex, l’entourage d’Emmanuel Macron avait fait savoir que la plainte dont fait l’objet le nouveau ministre de l’intérieur ne constituait « pas un obstacle » à sa nomination, précisant même que la procédure judiciaire évoluait « dans le bon sens ». Le nouveau porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a considéré, mardi, que M. Darmanin devait pouvoir « bénéficier de la présomption d’innocence »« Il y a des investigations, elles se tiennent, et c’est normal, on est en Etat de droit, mais on ne peut pas aller plus loin que ça en considérant que, finalement, parce qu’il y a des investigations, il y aurait des délits, une impossibilité à exercer dans un gouvernement », a encore déclaré M. Attal. « J’assume totalement cette désignation, [Gérald Darmanin] a droit comme tout le monde à la présomption d’innocence », a de son côté ajouté le premier ministre, Jean Castex, mercredi matin sur BFM-TV.

« Complètement impensable »

« Nommer comme premier flic de France Gérald Darmanin, un homme accusé de viol, et comme garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, un antiféministe notoire, c’est complètement impensable, réagit auprès du Monde Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le féminisme ! Il s’agit des deux représentants de la police et de la justice, deux institutions clés dans le parcours des victimes de violences sexuelles. »

Céline Piques se souvient avec amertume des propos d’Emmanuel Macron à son arrivée au pouvoir, qui appelait de ses vœux une « République exemplaire », et de son choix de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. Celle qui fut chargée de la mise en œuvre de la politique de défense des droits des femmes, Marlène Schiappa, devient, à la faveur du remaniement, ministre déléguée à la citoyenneté, sous la houlette de Gérald Darmanin.

« Je suis choquée, c’est sidérant de mépris, estime Caroline De Haas, du collectif Nous toutes. Jusqu’à présent, Macron avait un désintérêt poli et neutre pour les droits des femmes, là on passe à un désintérêt agressif et militant. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas été face à un gouvernement très clairement antiféministe. »

Cette double nomination sonne comme un « avertissement »« une déclaration de guerre »« un bras d’honneur », dénoncent les militantes, évoquant leur « écœurement », comme la cofondatrice du collectif Les effronté·es, Fatima Benomar.

Depuis lundi soir, nombre d’entre elles ont publié sur les réseaux sociaux d’anciennes déclarations du célèbre pénaliste devenu le nouveau garde des sceaux, qui avait fait connaître son opposition à l’infraction d’outrage sexiste créée par la loi dite Schiappa du 3 août 2018.

« Marche à rebours »

« Dupond-Moretti, c’est la ligne Deneuve, la ligne qui défend le droit d’importuner », déclare Caroline De Haas. « A 30 ans, on n’est pas une potiche incapable de dire non à un homme qui vous prend le pied », avait notamment déclaré l’avocat pénaliste lors du procès de l’ancien secrétaire d’Etat Georges Tron, scandalisant les associations de défense des victimes, qui travaillent pour la reconnaissance du psychotraumatisme associé aux violences sexuelles.

« C’est un très mauvais signal envoyé aux victimes », déplore Muriel Salmona, de Mémoire traumatique et victimologie

« Il s’est illustré par la non-prise en compte de tout l’aspect psychotraumatique des victimes et son attitude très maltraitante dans les prétoires vis-à-vis de ces dernières, considère la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui fut partie civile lors du procès Tron. Au-delà de toutes ses sorties tonitruantes sur l’outrage sexiste, c’est un homme qui véhicule toute la culture du viol. C’est un très mauvais signal envoyé aux victimes. »

« Trois ans après #metoo, le gouvernement nous engage sur un chemin qui nous condamne à une marche à rebours », s’indignent, dans un communiqué commun, plusieurs associations féministes et personnalités politiques. Elles prennent le soin de rappeler que, en France, « 1 % des violeurs sont condamnés, 76 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, 82 % des victimes de viol ont mal été accueillies lors du dépôt de plainte », et réclament la démission des deux ministres.

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