« Flic » : pourquoi le livre du journaliste Valentin Gendrot, infiltré dans la police parisienne, suscite la polémique

Le reporter évoque notamment, dans son livre paru jeudi, la façon dont il a vu un adolescent roué de coups par un policier.

Le journaliste Valentin Gendrot pose, le 1er septembre 2020 à Paris.
Le journaliste Valentin Gendrot pose, le 1er septembre 2020 à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Violences, insultes racistes, sexistes et homophobes, mais aussi manque de moyens des commissariats, suicide et mal-être des agents… Dans Flic, publié jeudi 3 septembre (éd. Goutte d’or), le journaliste Valentin Gendrot raconte deux années d’infiltration dans la police parisienne, et notamment dans le commissariat du 19e arrondissement, à Paris, de mars à août 2019. Si le livre a bénéficié d’une forte couverture médiatique, il est aussi controversé. En voici les raisons.

L’auteur n’a pas dénoncé une « bavure » à laquelle il dit avoir assisté

Ce qu’on lui reproche. De n’avoir pas dénoncé des violences policières qu’il décrit dans son livre. La préfecture de police de Paris a d’ailleurs annoncé, jeudi 3 septembre, avoir signalé au procureur de la République aussi bien ces « faits supposés » que l’absence de signalement. Le parquet de Paris a annoncé vendredi avoir ouvert une enquête, confiée à l’IGPN, la « police des polices ».

« Afin d’établir la véracité des faits relatés dans ce livre et relayés par les médias, et à la demande du ministre de l’Intérieur, le préfet de Police, Didier Lallement, les a portés à la connaissance du procureur de la République et a saisi parallèlement à titre administratif l’Inspection générale de la police nationale », écrit-elle dans son communiqué. « L’enquête devra également déterminer les raisons pour lesquelles les faits supposés n’ont pas fait l’objet d’un signalement immédiat au Procureur », poursuit la préfecture de police.

Ce que dit l’auteur. Valentin Gendrot assure avoir vu un policier rouer de coups un adolescent, puis établir un « PV mensonger ». Il dit également avoir participé à ce « PV mensonger » visant à « absoudre le policier ». Ce jour-là, sa patrouille est appelée par un voisin se plaignant de jeunes écoutant de la musique au pied d’un immeuble. Le contrôle dégénère quand l’un des policiers « tapote » la joue d’un adolescent qui, en réponse, provoque le fonctionnaire : « Je te prends en un contre un ».  

Le policier met une première « baffe » au jeune homme « puis deux, puis trois, peut-être quatre ou cinq », écrit le reporter. L’agent « se déchaîne » ensuite à « coups de poing » et d’insultes sur l’adolescent, qui est embarqué au commissariat pour une vérification d’identité. Le policier porte alors plainte pour outrage et menaces, l’adolescent pour violences. Un PV « mensonger » est rédigé pour « charger le gamin » , affirme Valentin Gendrot, qui incriminera lui aussi l’adolescent lors d’une enquête interne. « A aucun moment il n’apparaît dans ce texte que le policer a frappé » le jeune homme, explique-t-il au site d’investigation Mediapart. Il précise aussi que le « PV mensonger » auquel il a participé est un « faux en écriture publique », considéré comme « un crime » passible de quinze ans de prison.

Pourquoi n’a-t-il pas dévoilé la bavure au moment des faits ? L’auteur a expliqué à l’AFP avoir ainsi voulu pouvoir « dénoncer mille autres bavures de ce type« , même si « ça a été une décision extrêmement compliquée ».

Il a fait son enquête sans dévoiler son identité de journaliste

Ce qu’on lui reproche. D’avoir fait son enquête sans se signaler comme journaliste. Au sein de la profession, la méthode est dénoncée par certains, à l’instar de l’éditorialiste politique Dominique de Montvalon, comme « peu déontologique ». La charte d’éthique professionnelle des journalistes, que l’on trouve sur le site du Syndicat national des journalistes, proscrit ainsi « tout moyen déloyal » pour se procurer des informations.

Mais elle a été employée par des journalistes de renom comme Florence Aubenas (Le Monde) qui avait travaillé, sans mentionner son vrai métier, comme femme de ménage en Normandie pour écrire le récit Le Quai de Ouistreham. Plus récemment, rappelle le site Arrêt sur images, plusieurs « livres salués par la profession ont utilisé cette méthode d’enquête », tel « Steak Machine, de Geoffrey Le Guilcher (…),  qui relate quarante jours d’infiltration dans un abattoir breton ». 

Certains des anciens « collègues » policiers de Valentin Gendrot, avec qui il avait tissé des liens, lui ont aussi fait savoir qu’ils étaient « choqués » et « abasourdis » de cette dissimulation.

Comment l’auteur se justifie. Comme d’autres journalistes ayant recouru à la même méthode, il estime que cette démarche lui a permis d’aller « là où personne ne va jamais ». « Infiltrer la police, c’est une démarche lourde, cela permet d’aller là où personne ne va jamais, de montrer au grand public que si la police est la profession la plus contrôlée de France, il existe aussi des zones grises où personne n’a de contrôle sur ce qui se passe. Des zones grises, les interventions sous les radars sans que cela ne soit écrit ou dit sur les ondes police, cela existe et c’est ce que je raconte. Trois ou quatre passages à tabac de migrants sont passés sous les radars », a-t-il expliqué à franceinfo.

L’ampleur de ses révélations est contestée

Ce qu’on lui reproche. En substance, de dire ce que l’on savait déjà. Critique ainsi portée par cette journaliste sur Twitter.

Coline Clavaud-Mégevand
@colinecm
Dans les prochains jours, on va bcp parler du livre « Flic », sur Twitter et dans les médias tradi (déjà des contenus sur Médiapart et Konbini). La parole de Valentin Gendrot sera érigée en preuve que les violences policières sont racistes, systémiques… SAUF QU’ON LE SAIT DÉJÀ.
Les violences policières ont été effectivement très documentées, notamment, depuis les manifestations des « gilets jaunes », par les enquêtes du journaliste indépendant David Dufresne publiées sur Mediapart. Autre exemple parmi d’autres, fin juillet, le site d’information en ligne Street Press a publié de son côté des révélations sur « des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris ». Il n’y aurait donc pas de « scoop » à proprement parler dans le livre de Valentin Gendrot.

Ce que répond l’auteur. « La police, dit-il dans une interview télévisée au site LeMediaTV, est un sujet extrêmement clivant. Il y a une partie de la population qui va soutenir la police et axer ses commentaires et ses remarques sur la dénonciation des conditions de travail des forces de l’ordre (…). Et il y a une autre partie de la population qui déteste la police et qui va plutôt dénoncer les violences policières. Moi ce qui m’intéressait, c’était d’aborder de plein fouet les deux grands tabous de la police, les violences policières et le mal-être policier ». Il s’est attaché aussi, poursuit-il, à décrire « le quotidien d’un policier dans un commissariat parisien ».

Du coup, son travail au long cours s’intéresse aussi à des aspects moins connus de la police. Le journaliste se montre ainsi très critique sur la formation des policiers. C’est « une formation low-cost », déclare-t-il à franceinfo. « En trois mois, je suis sorti de l’école avec une habilitation pour porter une arme sur la voie publique. Je n’avais jamais touché une arme de ma vie avant« .

Interrogé par le site d »information et de loisirs Konbini, il précise qu’avant de travailler dans le commissariat du 19e arrondissement où il avait été nommé, il s’était rendu « sur YouTube pour trouver un tuto » expliquant « comment on met en service une arme de policier »« Parce que c’est quelque chose que j’avais complètement oublié depuis 15 mois », complète-t-il.

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