M-E. Dupont : « Privilégier la peur au bon sens est contreproductif »

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La rédaction
psychologie

ENTRETIEN. Marie-Estelle Dupont est psychologue clinicienne et psychotérapeute. Spécialiste de l’approche par la parole, elle a travaillé plusieurs années à l’hôpital avant d’exercer en libéral. Elle livre aujourd’hui à Bas les masques son point de vue sur la gestion de la crise sanitaire.

M-E. Dupont : "Privilégier la peur au bon sens est contreproductif"
Le 26 novembre 2020

Bas les masques. On dit que la peur est mauvaise conseillère. Que peut-on penser de la communication anxiogène autour de la crise sanitaire ?

Marie-Estelle Dupont. La peur est l’émotion la plus primitive, car elle sert de signal d’alarme face à danger. Il s’agit de la peur adaptative, qui permet de survivre. Mais lorsqu’elle passe un certain seuil, la peur devient une émotion inhibitrice. Dès lors, en générant trop de peur chez quelqu’un, on déclenche des réactions cérébrales paralysantes qui sont à l’inverse de l’objectif de survie. Aussi, les choix sémantiques du gouvernement en période de crise sont particulièrement importants. En utilisant un discours martial, les pouvoirs publics ont certainement voulu appeler à l’unité, mais ce choix s’avère maladroit. En parlant de « guerre » contre un virus, on se prive d’une terminologie adaptée lorsqu’il s’agira de désigner un véritable ennemi, et on génère en outre des réactions de méfiance et de paranoïa alors qu’il faudrait préférer la solidarité et l’empathie. Les mots ont un sens et un pouvoir. Ils sont déjà des actes en ce qu’ils pénètrent le cerveau pour y semer images, fantasmes, idées et émotions, en pouvant générer du calme ou au contraire semer de la peur et de la colère. Ont-ils réfléchi au champ lexical employé et à ses effets ? Privilégier la peur plutôt que le bon sens est réellement contreproductif.

On peut voir ici une application du concept de « contamination émotionnelle » que vous évoquez souvent. Quel est son fonctionnement ?

Si vous observez une pièce avec des bébés, vous constatez que lorsqu’un bébé se met à pleurer, les autres pleurent aussi au bout de quelques minutes. Pour s’adapter en société, l’humain dispose de neurones miroirs, ce qui amène le cerveau à reproduire les actions qu’il voit afin de progresser. Comme nous sommes des êtres dotés d’empathie, les émotions nous touchent. Dès lors qu’une grande partie de la population est inquiète en raison de discours anxiogènes, les gens se mettent à avoir peur collectivement, et tout le monde devient l’ennemi de tout le monde.

Les médias jouent-ils un rôle dans cette situation ?

Les médias devraient faire preuve d’éthique et faire plus attention lorsqu’ils diffusent en boucle les informations angoissantes relatives à la crise actuelle. Si l’on montrait par exemple les chiffres du palud ou du cancer chaque soir, les gens relativiseraient. C’est en se focalisant sur une pathologie particulière qu’on la rend effrayante, alors que la vie est pleine de pathologie qui peuvent être tout  aussi angoissantes ! Aussi, la situation actuelle démontre bien toute la force de l’effet papillon. Je conseille donc aux gens de se focaliser d’abord sur leur propre bien-être, afin d’éviter de faire circuler la panique.

Contre le stress, vous préconisez les activités de détente, comme la pratique sportive. Comment expliquer la fermeture incompréhensible des salles de sport ?

Le gouvernement n’a aucun recul sur la situation, et raisonne à partir d’un principe de précaution maximal. Mais ces mesures, qui lui permettent de se dédouaner, ne sont pas les mesures les plus efficaces sur le plan sanitaire, ni les moins coûteuses en terme de dégâts collatéraux. Le sport équilibre les hormones de stress et permet d’éviter beaucoup de pathologies chroniques. Personnellement, j’incite à faire du sport autant que possible, même à la maison.

Le premier confinement a été éprouvant pour la population. Le nouveau confinement mis en place emploie des modalités similaires : attestations de sortie, contrôles de police et menaces de sanctions. Est-ce une bonne stratégie de favoriser la coercition à la pédagogie ?

Je ne sais pas quelle est la stratégie en place, mais je pense qu’il s’agit d’abord d’une réaction de peur de la part de ceux qui nous gouvernent. Et répondre à une fatigue globale de la population par une pure coercition externe occasionnera forcément une incompréhension générale. En adaptant sa stratégie au coup par coup, le gouvernement a envoyé beaucoup de messages contradictoires et les gens se sentent perdus. Si l’on voit apparaître aujourd’hui des réticences face à ces mesures, c’est normal : quand l’humain n’a pas de repères clairs, la cohésion devient impossible.

Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a déclaré que les gens malades en sont responsables car ils n’appliquent pas bien les « gestes barrières ». Quel est l’impact de ce type de déclaration ?

Vu la fragilité du lien de confiance entre le peuple et ses dirigeants, ces derniers devraient veiller à diffuser leurs messages de façon positive, et surtout pas négative ni culpabilisante. En l’occurence, je dirais qu’appliquer des gestes barrières ne consiste pas seulement à laver les mains, mais aussi à avoir de bonnes défenses immunitaires ! Il existe des moyens très simples de ne pas tomber malade, en prenant notamment des vitamines C et D, ainsi que du zinc. J’ajouterais aussi que le meilleur moyen de rester en bonne santé n’est certainement pas d’arrêter de vivre, mais plutôt d’avoir des lymphocytes efficaces et capables de lutter contre les agents pathogènes. S’il faut bien sûr responsabiliser les gens sur les questions d’hygiène, il faut également insister sur la question du système immunitaire.

L’imaginaire collectif voit les français comme indisciplinés et réfractaires. Malgré quelques réticences, on constate une certaine docilité de la population à accepter les mesures restrictives.  Chez certains de nos voisins européens, on sent monter des tensions qui donnent lieu à des manifestations parfois violentes. Comment expliquer cette exception française ? Par la peur ?

Il est difficile de généraliser, car chacun réagit à une situation donnée en fonction de sa situation socio-professionnelle mais aussi de sa personnalité. Certaines personnalités dites « borderline » ont besoin de transgresser pour avoir le sentiment de reprendre le contrôle, alors que d’autres personnes introverties ou hypocondriaques vont accepter les règles et même faire du zèle. Par ailleurs, l’image des « gaulois réfractaires » a fait long feu, et aujourd’hui ce n’est pas tant la peur qui empêche de réagir, mais la fatigue. Il existe un vrai sentiment d’usure chez les gens qui ne voient ni comment ni quand nous allons sortir de cette situation. Il ne faut pas non plus oublier que les gens ont été effrayés en découvrant l’état de l’hôpital, et font preuve d’empathie envers des soignants qu’ils savent débordés. D’une façon générale, les gens sont très fatigués actuellement, mais la colère s’exprimera sans doute par la suite. Et j’espère par ailleurs que cette crise ouvrira la possibilité d’effectuer de vrais changement dans le fonctionnement de l’hôpital. Mais avant tout, pour améliorer la situation actuelle, il faudrait commencer par rétablir le lien entre la médecine de ville et la médecine hospitalière.

Avez-vous un conseil particulier à donner à nos lecteurs pour traverser cette crise sanitaire sans trop de dégâts psychologiques ?

Il faut lire Les quatre accords toltèques, de Miguel Ruiz ! Et il faut bien veiller à se mettre à distance de tout ce qui est toxique, en privilégiant une position de responsabilité et non de culpabilité. Se sentir responsable permet d’acter des position utiles et efficaces, et donne la possibilité de retrouver une forme de calme intérieur.

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