Redon : des notes de gendarmerie accablent le préfet et le ministère

Les comptes-rendus de la gendarmerie sur les opérations de Redon, obtenus par Mediapart, attestent du fait qu’une antenne du GIGN a participé à la destruction du matériel prévu pour la free party. Ils révèlent que des agents du service des renseignements, infiltrés parmi les teufeurs, ont informé en temps réel leur hiérarchie de l’état du jeune homme qui a perdu sa main, sans qu’aucune décision ne soit prise pour lui porter secours.

Pascale Pascariello

8 juillet 2021 à 18h49

Mediapart publie des extraits des comptes-rendus de la gendarmerie sur les opérations menées pour interdire la free party près de Redon (Ille-et-Vilaine). Au cours de cette intervention, dans la nuit du 18 au 19 juin, un jeune homme de 22 ans a eu la main arrachée. Ces notes évoquent un dispositif totalement disproportionné et révèlent l’impassibilité, voire l’indifférence des forces de l’ordre, pourtant informées en temps réel de l’état d’urgence vitale du jeune teufeur.
Les gendarmes et les fêtards au lendemain de l’intervention pour disperser la rave party qui s’est tenue dans un champ à Redon, le 19 juin 2021 © Loïc Venance /AFP

En effet, lorsque celui-ci a la main arrachée, des agents d’un service de renseignement, infiltrés parmi les jeunes, informent leur hiérarchie. Pour autant, aucune assistance ne lui est portée. Quant aux pompiers, comme nous l’avions raconté, interdits d’accès par le préfet, ils sont restés immobilisés à un rond-point, comme retranscrit dans un rapport d’intervention.

Le 19 juin, « en liaison étroite avec le cabinet du ministre de l’intérieur », ainsi qu’il l’a précisé à la presse, le préfet d’Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier, a fait intervenir 14 militaires de l’antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de Nantes pour saccager tout le matériel (enceintes, tables de mixage, groupes électrogènes) prévu pour la fête. Une présence et un rôle pour le moins inattendus. Les militaires du GIGN, qui constituent l’élite de la gendarmerie, sont formés et équipés de moyens et armements spécifiques, très sophistiqués, pour accomplir leurs missions. Ils interviennent généralement pour des faits très graves : terrorisme, prises d’otages, arrestations de dangereux forcenés, émeutes dans les prisons, risques ou menaces sur des intérêts vitaux pour l’État.

Le préfet d’Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier, le 19 juin 2021. © DR

Interrogés, le cabinet du ministre Gérald Darmanin, celui du préfet d’Ille-et-Vilaine, ainsi que la direction générale de la gendarmerie nationale, n’ont pas souhaité répondre à nos questions, prétextant les enquêtes en cours. Mediapart revient sur ces deux jours d’intervention qui, tant par les moyens mis en œuvre que par l’absence de plan d’évacuation, accablent la préfecture et le ministère de l’intérieur.

Le vendredi 18 juin, en fin de journée, les gendarmes tentent d’identifier le lieu prévu pour une free party interdite en hommage à Steve Maia Caniço, décédé à la suite d’une intervention de police sur les quais de la Loire, à Nantes, lors de la fête de la musique, en juin 2019.

Pour cela, certains suivent les réseaux sociaux et d’autres, en patrouille, vérifient les véhicules. À 20 h 13, ils localisent « 33 personnes [qui] se rassemblent sur le secteur de Redon » et, quelques minutes plus tard, précisent qu’ils se retrouvent sur le parking d’une grande surface.

À partir de là et tandis que la surveillance des jeunes réunis sur le parking se poursuit, faisant état à 23 heures de « 300 à 400 véhicules », très vite, trois escadrons, soit près de 250 hommes, sont mobilisés sur l’ancien hippodrome, identifié comme étant le lieu de la fête . Aux alentours de 23 h 47, on note même la présence d’un hélicoptère qui se dirige vers Redon.

À ce moment-là, impossible d’engager le moindre dialogue avec les gendarmes, comme nous l’ont rapporté plusieurs jeunes, dont les tentatives ont toutes échoué (à lire ici et ).

Face aux forces de l’ordre, certains se sont même assis en tailleur, refusant tout affrontement, comme le montre une vidéo tournée par le journaliste Clément Lanot (à voir ici). À 23 h 39, le nombre de jeunes est estimé à « 1 200 personnes ». « La tension monte, est-il précisé dans le rapport. Un VL [véhicule léger – ndlr] gendarmerie a été caillassé. »

À minuit trente, les gendarmes, rejoints par un quatrième escadron composé de 55 hommes, opèrent des « tirs nourris de grenades », ainsi qu’il est retranscrit dans le compte-rendu des opérations.

Alors que les premières interpellations ont lieu, l’usage de grenades lacrymogènes, de désencerclement et de GM2L, est fait massivement et sans interruption.

Un haut gradé de la gendarmerie nous explique que les grenades GM2L, qui remplacent les GLI-F4, à charge explosive, ont une composition pyrotechnique susceptible d’arracher un membre. Et comme nous l’avons indiqué dans un article (à lire ici), leur bouchon allumeur présente des dysfonctionnements qui ont contraint le ministère de l’intérieur à interdire leur lancer à la main, depuis le 1er juillet.

Ainsi que le prévoient les instructions du ministère de l’intérieur du 2 août 2017, lors de l’utilisation de la GM2L, après emploi, il faut « porter secours dès que l’environnement opérationnel le permet »« s’assurer de l’état de santé de la personne » et « la présenter à un médecin si nécessaire ».

À 2 h 45, les pompiers reçoivent les premiers appels pour un jeune dont la main a été arrachée. Quelques minutes plus tard, à 2 h 53, les gendarmes sont directement informés qu’un « individu [a été] blessé à la main » par leurs propres agents. Des gendarmes en civil se sont effectivement infiltrés au plus près des jeunes. Ils font partie de la cellule départementale d’observation et de surveillance (CDOS).

À 2 h 57, ces mêmes agents apportent des précisions au centre opérationnel : « blessé à la main arrachée ». Contre toute attente, les gendarmes ne prennent aucune décision, ni celle de porter assistance au blessé ni celle de procéder à son évacuation en sécurisant l’accès d’une ambulance.

La préfecture ne les autorisant à intervenir que pour les gendarmes, les pompiers sont toujours, à 2 h 59, bloqués au « au rond-point des Noës », sans pouvoir porter secours ni au jeune en urgence vitale ni à d’autres blessés, comme le signale le compte-rendu d’intervention.

En revanche, ainsi que le retranscrivent les gendarmes, à 4 h 22, leur passage a bien été sécurisé pour « trois gendarmes évacués par les pompiers ».

Rien n’a été fait pour secourir ce jeune homme. Néanmoins, les services de gendarmerie sont restés actifs pour fournir des renseignements le concernant.

Après avoir « constaté que parmi les manifestants, l’individu a été évacué », à 4 h 53, « une patrouille actuellement au CH [centre hospitalier] Redon confirme l’hospitalisation d’un jeune homme qui est soigné pour une main qui a été arrachée ». Et son nom et prénom sont donnés mais « pas de lieu de naissance et pas de domicile pour le moment ». Quelques heures plus tard, son transfert dans un autre hôpital, près de Rennes, figure également dans le compte-rendu.

L’antenne GIGN de Nantes est prévue sur site à 14 h 30.

Compte-rendu des opérations du 18 et 19 juin à Redon, centre opérationnel de la gendarmerie.

La suite de ce rapport interpelle tout autant sur les moyens disproportionnés et les unités engagées pour interdire la tenue de cette free party.

Le samedi 19 juin, alors que le matériel a été installé et que, comme le signalent les gendarmes à 9 h 30, « le mur du son diffuse sans trop de puissance », deux hélicoptères sont réquisitionnés, l’un venant de Tours et l’autre de Rennes, pour survoler le site, « équipés de caméra transmission en direct », notamment pour relever les plaques d’immatriculation.

Le service de renseignement est lui aussi renforcé puisqu’à la cellule départementale d’observation succède à midi le groupe d’observation et de surveillance de Rennes. Un service plus aguerri et mieux doté.

Mais la démesure des moyens ne s’arrête pas là. « L’antenne GIGN de Nantes est prévue sur site à 14 h 30 ». Et effectivement, à 14 h 31, « 14 militaires » de cette antenne arrivent sur l’ancien hippodrome.

À Redon, les 14 militaires ont saccagé le matériel des jeunes teufeurs, ainsi que le montre la vidéo que nous publions.

https://www.mediapart.fr/journal/france/080721/redon-des-notes-de-gendarmerie-accablent-le-prefet-et-le-ministere?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66&fbclid=IwAR1i4MXmX-Fv6TJRDmJarcYsbg4Evgxj0Fvr4NEeGiWPVLW8TXLSzJbNTIs

Des militaires de l’antenne du GIGN de Nantes saccagent le matériel de la free party, Redon, 19 juin.

Outre l’antenne du GIGN, près de 11 escadrons de gendarmerie se sont relayés, venant notamment de Blois, du Havre, de Satory, de Pontivy ou de Cherbourg, ainsi que trois compagnies de CRS, dont celles de Mulhouse et de Saint-Brieuc.

Autre fait notable révélé par ces notes, le rôle particulièrement étrange joué par l’Agence régionale de santé (ARS). Alors qu’elle doit venir en soutien dans l’organisation des secours, l’ARS a tenu le rôle d’informatrice pour les gendarmes. Ainsi, le 19 juin, à 16 h 07, le centre opérationnel de la gendarmerie relaye « l’information de l’ARS » qui signale « la présence de teufeurs autour du centre de vaccination de Redon ». La suite du rapport précise qu’une « unité de gendarmerie locale » est sur place pour les contrôler.

Enfin, si le préfet est resté peu loquace sur la nature des blessures des gendarmes, ce compte-rendu précise qu’il y a « cinq blessés légers ». Trois autres sont également mentionnés pour un nez cassé, un orteil écrasé et une perte de connaissance. Contrairement au jeune amputé, tous ont pu être secourus.

Pascale Pascariello

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