Demain, la rue est à nous

 12 JANV. 2022

Nous avons été très patients. Plus de quatre années à subir une destruction en règle de l’école publique à cadence vertigineuse. Certes le terrain avait été bien préparé en amont, mais il était difficile d’imaginer la violence des attaques qui se sont abattues, sous ce gouvernement, sur les services publics en général et l’école en particulier.

Professeure d’histoire-géographie
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Demain la rue est à nous. Demain, au-delà de nos classiques divergences, nous irons battre le pavé pour dire notre suffocation. Car la gestion sanitaire n’est qu’une étincelle dans l’affaire. Les braises sont là depuis longtemps. Nous ne protesterons pas seulement contre la succession ubuesque des protocoles sanitaires récents car nous avons beaucoup plus à clamer.

D’abord le mépris, marque de fabrique de ce ministère, mépris de nos compétences professionnelles et de notre liberté pédagogique ; mépris d’un métier caporalisé, mis sous surveillance automatique, contrôlé comme au temps de « la punition des rouges », ces instituteurs et institutrices communistes harcelées par l’administration et la police dans les années 1930.

Un métier sous la pression d’une communication permanente qui, à coups de formules subventionnées « nation apprenante », « vacances apprenantes », « école ouverte », fabrique son propre récit alternatif tandis que la réalité n’est que classes surchargées, rideaux délabrés, salles inondées, fenêtres cassées, et chauffages en panne.

Une réalité matérielle que quelques deniers auraient pu compenser si, là haut on n’avait pas préféré reverser 75 millions d’euros Bercy et passer pour le meilleur élève du monde de l’austérité. Et que dire de cette façon systématique de s’adresser aux enseignants par voie médiatique, tandis qu’eux restent soumis à la voie hiérarchique ?

Au fond, sommes-nous autre chose pour ce ministère que des paillassons ?

Demain donc nous lèverons nos poings en direction du ciel, vers notre collègue Christine Renon, qui s’est donnée la mort dans sa petite école maternelle de Pantin, paraphant ses adieux d’une formule insupportable : « directrice épuisée ».

Nous défilerons en l’honneur de nos collègues poursuivis pour leurs activités syndicales et de celles et ceux, atteints d’une souffrance et d’un découragement tels qu’ils n’ont plus la force de se battre.

Nous chanterons pour nos élèves maltraités, soumis à des évaluations permanentes, triés, cantonnés à leur destin social par une politique éducative qui ne cherche qu’à favoriser les plus « méritants » d’entre eux.

Nous penserons aux étudiantes et étudiants en détresse, à celles et ceux qui ne mangent pas à leur faim.

Nous réclamerons la fin des cadeaux à l’école privée, de l’invasion de l’ « Ed Tech » qui détruit les liens entre les enseignants et leurs élèves, du fétichisme béat des sciences cognitives qui masque les déterminismes sociaux derrière des théories scientistes fumeuses.

Nous aurons peut-être aussi l’occasion de réclamer justice pour nous avoir privés du deuil de notre collègue Samuel Paty et avoir jeté sur nous le soupçon d’ « islamogauchisme », puis de « wokisme » alors que nous pleurions encore l’un des nôtres.

L’inventaire des colères est lourd,  et personne ne sait combien de temps durera cette opportunité qui nous est enfin offerte d’en exprimer quelques unes. Mais demain peut durer une éternité, car demain, la rue est à nous.

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