Législatives : comment la stratégie d’union à gauche change la donne, circonscription par circonscription

En se basant sur les résultats de la présidentielle, l’union des gauches leur permet de se qualifier dans plus de quatre circonscriptions sur cinq, quand le RN, lui, ne serait au second tour des législatives que dans 296 circonscriptions. Selon nos estimations, LR pourrait disparaître de l’Assemblée.

Article rédigé par

Théo Uhart – franceinfo
Radio France

« Elisez-moi Premier ministre » : voilà comment Jean-Luc Mélenchon a lancé la bataille des législatives, avant même le second tour de la présidentielle et la victoire d’Emmanuel Macron. Pas de pause, et un « troisième tour » auquel la gauche a réussi, avec le feuilleton de l’union, à intéresser. Maintenant que l’accord entre LFI, EELV, le PCF et le PS est acté, quelles estimations peut-on faire des résultats du premier tour des législatives ?

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Pour construire ces estimations, franceinfo a récupéré les résultats de la présidentielle, que nous avons corrélés à la participation de 2017 [voir la méthodologie en fin de papier]. En voici le résultat.

La gauche unie « inhabituellement haute »

La « Nouvelle union populaire écologique et sociale » ou NUPES s’en sort très bien, et serait présente au second tour dans 471 circonscriptions. C’est plus que La République en marche (448 qualifications) et que le Rassemblement national qui ne serait au second tour que 296 circonscriptions. Loin derrière, Les Républicains et Reconquête ne seraient au second que dans une circonscription chacun : la 14e de Paris pour le parti d’Éric Zemmour, à Wallis-et-Futuna dans le cas de LR.

Dans le détail, la gauche serait la plus présente au second tour, mais aussi la plus souvent en tête au premier. Une tendance qui se confirme quelle que soit la participation au scrutin, et qui s’explique selon le sociologue et politiste Jean Tiberj : « La gauche s’est plantée en 2017 car elle était désunie ». Or les logiques différentes entre la présidentielle et les législatives « conduisent à des variations de score à gauche entre les différentes formations. Mécaniquement, si la gauche est unie, elles seront beaucoup moins fortes ».

« On commence à voir des choses étonnantes. C’est inhabituel de voir la gauche aussi haute dès le début d’élections législatives. Peut-être que quelque chose se joue. »

Jean Tiberj, sociologue à Sciences Po Bordeaux

à franceinfo

L’abstention, clé du scrutin

Pourtant, avec trois blocs de force presque similaire à la présidentielle, on pouvait s’attendre à un nombre record de triangulaires. C’est loin d’être le cas, si l’on se tient à notre hytpothèse de départ, à savoir une participation égale à celle de 2017.

Mais nous avons aussi voulu tester deux scénarios. Dans le premier, la participation serait supérieur de dix points à celle de 2017 (soit peu ou prou la participation lors des législatives de 2012). Dans le second, on imagine que la participation gagnerait 30 points, se rapprochant ainsi du record de participation pour des législatives.

Conclusion : si la participation augmente, le nombre de triangulaires est plus important, comme le montrent les deux hypothèses testées (une participation de dix points supérieure à 2017 et une qui s’approcherait du record de participation pour des élections législatives (+ 30 points par rapport à 2017)). Et cela tient au mode de scrutin très particulier des élections législatives.

Se qualifient au second tour les candidats qui ont pu réunir plus de 12,5% des inscrits, c’est-à-dire du nombre de personnes présentes sur les listes électorales. Plus l’abstention est forte, plus il faut atteindre un score important de suffrages exprimés pour espérer se qualifier. Dans le cas où aucun candidat ne réunit les conditions, les deux candidats arrivés en tête sont qualifiés, quel que soit leur score.

Ce système joue en défaveur du Rassemblement national. D’abord, parce que « les électeurs du Rassemblement national se déplacement traditionnellement moins aux législatives », rappelle Vincent Tiberj. Ensuite parce que l’union de la gauche ramène souvent le RN au 3e plan. Si l’abstention est forte, l’option « par défaut » va s’appliquer, et qualifier les deux premiers. En revanche, si elle s’affaiblit, plus de candidats arrivés troisièmes peuvent accéder au second tour, ce qui entraîne mécaniquement plus de triangulaires. Mais, Jean Tiberj le rappelle : en 1997, « la gauche plurielle avait gagné grâce aux triangulaires ».

Quelle attitude des électorats face aux différentes options ?

Ce que révèle aussi notre analyse, c’est que ce sont les duels entre La République en marche et l’union des gauches qui pourraient être les plus importants (si la participation est proche de 2017). Ce serait le cas dans 271 circonscriptions. L’union des gauches pourrait alors bénéficier du vote anti-Macron. « On se posera la question de contre qui on est le plus ? Cela dépendra du type de votants d’extrême droite, analyse le politiste. L’électorat populaire ouvriéro-lepéniste peut être attiré par un discours d’une gauche unie. En revanche, si le vote RN est celui de classes moyennes conservatrices anti-immigrés et anti-impôts, cela pourrait être plutôt pour Emmanuel Macron », sans oublier bien sûr la possibilité d’une abstention massive du bloc national.

104 circonscriptions rejoueraient le second tour de la présidentielle entre le parti d’Emmanuel Macron et celui de Marine Le Pen. Enfin, 121 duels verraient s’affronter la gauche et le Rassemblement national. Une situation qui sera « compliquée » pour les électeurs macronistes selon le politiste : « Il faudra voir s’ils reconnaissent à l’un des deux son caractère d’adversaire, comme en 2002 lorsque Chirac était l’adversaire et Le Pen l’ennemi, ou si les deux sont des ennemis. »

« Si c’est un candidat PS face au RN, il sera plus simple pour un électeur macroniste de le voir comme un adversaire. Mais si c’est un candidat EELV sur la ligne Rousseau ? Ou un candidat LFI ? »

Jean Tiberj

à franceinfo

Il ne faut pas non plus enterrer trop vite Les Républicains ou même de possibles dissidents socialistes, précise Jean Tiberj. « Ce sont deux partis qui peuvent compter sur leur assise. N’oublions pas qu’ils avaient déjà survécu en 2017. » Finalement, conclut l’enseignant à Sciences Po Bordeaux, avec tous ces enjeux, « les législatives vont peut-être permettre de faire la campagne présidentielle qu’on attendait ».

 


Méthodologie et précisions

Pour calculer ces estimations, nous avons récupéré les résultats du premier tour de l’élection présidentielle par circonscription législative. Nous avons ensuite calculé, pour chaque candidat, quel pourcentage des inscrits cela représenterait, en fonction de la participation par circonscription au premier tour des législatives de 2017. Cela permet d’obtenir des estimations plus fidèles au mode de scrutin législatif. 

Pourquoi ne pas avoir pris la participation nationale et l’avoir appliquée à toutes les circonscriptions ? Dans l’objectif d’arriver à des estimations les plus fines possibles, qui prennent en compte les différences de participation d’une circonscription à l’autre. Cela ne gomme en revanche pas les disparités de vote entre présidentielle et législatives : l’hypothèse est faite que l’on voterait à l’identique entre les deux scrutins, ce qui n’est pas forcément exact.

Pourquoi ces deux scénarios ? L’objectif était d’abord d’anticiper un possible changement de participation à la hausse. La participation aux législatives de 2017 était historiquement basse, et on peut donc gager qu’elle remontera un peu. D’où un scénario avec une participation proche de celle de 2012. Pour cela, nous avons dans toutes les circonscriptions ajouté 10 points à la participation de 2017. Enfin, dans un objectif didactique, il nous a semblé intéressé d’aller vers un extrême : +30 points, soit proche du record de participation pour un premier tour d’élection législative qui a été établi en 1978.

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