LE FOND DE L’AIR EST ROUGE

La grève procure une joie immense et elle le montre une fois de plus en grand aux USA aujourd’hui avec la vague de grèves actuelle parce qu’elle manifeste une forme de revanche sociale et d’exultation de participer à quelque chose de plus grand que soi.
Mais ce sentiment est encore plus grand quand dans chaque grève, il s’ancre dans tout un pays, tout un continent et même toute une période à l’échelle de la planète, parce qu’on a trop souffert, trop vu d’injustices, trop avalé de mensonges, trop enduré d’humiliations, trop subi, trop baissé la tête… et c’est le cas aujourd’hui. Même lorsque les grèves sont émiettées et essentiellement économiques comme c’est encore le cas maintenant un peu partout, on sait qu’elles font partie d’un tout, d’un mouvement général qui va au delà des simples revendications et alors on ressent une bouffée de fierté, on a envie de pleurer d’émotion, on éprouve à chaque combat, chaque succès, même partiel, un sentiment général de libération.
Ce sont ces vagues d’émotions qui ont traversé la planète à la Libération après les horreurs de la seconde guerre mondiale. Nous n’avons pas connu de telles horreurs mais nous savons que nous risquons d’y aller. Et les émotions en train de naître et s’exprimer aujourd’hui sont du même ordre, le risque de destruction de la planète par le capital s’y ajoutant en toile de fond pour les jeunes générations. Nous n’avons pas de partis ni de syndicats pour exprimer le fond politique de ces sentiments alors ce sont les réseaux sociaux, des millions d’individus en réseau qui tentent de les exprimer. Et puis la force de cette exultation se lit aussi dans les revendications et les succès grévistes. Aux USA le syndicat UAW de l’automobile exige une augmentation de 36% sur 4 ans, la semaine de 32 heures. Les pilotes de deux compagnies d’aviation ont obtenu des augmentations de plus de 40%, les enseignants et autres salariés de l’éducation en Californie des augmentations de 30 à 50%, les chauffeurs d’UPS des augmentations de 46%, les personnels de santé exigent 26%, ceux des casinos de Las Végas plus encore.
Si le phénomène est inégal suivant les régions du monde, il n’est pas qu’américain.
En Inde, un autre géant de la planète, avec 1,4 milliards d’habitants, les paysans et ouvriers associés dans un coordination géante qui a déjà montré ces dernières années son immense capacité de mobilisation et son efficacité en faisant reculer plusieurs fois le gouvernement, entrent dans une campagne de plusieurs mois qui vient de commencer par un blocage des voies ferrées du pays de 3 jours qui s’est fini ce 30 septembre et avant une première grève générale le 3 octobre, pour un programme revendicatif pas vu depuis l’indépendance : la suppression de toutes les lois anti-ouvrières, l’arrêt de toutes les privatisations et la renationalisation de ce qui vient d’être privatisé et l’interdiction au capital de s’introduire dans tout ce qui est services, la multiplication du montant des retraites par 6 ou 7, du salaire minimum par 5 et son extension aux 300 millions de petits paysans, 200 jours par an de travail garanti d’utilité publique pour les 200 millions d’ouvriers agricoles en dehors des périodes de travaux agricoles…
Le mouvement indien entraîne derrière lui tout le sous-continent, le Bangladesh où le gouvernement vient de céder à une grève d’un mois des enseignants la nationalisation de l’enseignement secondaire, le primaire l’ayant été à l’indépendance, ou encore la multiplication par 4 des salaires des ouvrières des plantations de thé. Le Pakistan qui est en ébullition sociale sans discontinuer depuis 2020 ayant déjà fait chuter deux gouvernements, ayant obtenu des augmentations des salaires à deux chiffres pour les centaines de milliers d’ouvriers du textile de la région de Faisalabad, la Manchester pakistanaise comme de ceux de Gwadar port géant de la nouvelle route de la soie qui exigeaient tout : salaires, écoles, dispensaires, eau courante, électricité, hôpitaux, médecins, routes… Et il en va ainsi dans bien d’autres pays et régions du monde.
Comme le disait ces derniers jours, Shawn Fain, le président du UAW : “C’est une bataille de la classe ouvrière contre les riches, des possédants contre ceux qui n’ont rien, de la classe des milliardaires contre tous les autres”.
Nous sommes en guerre. Et si le milliardaire américain Warren Buffet pouvait dire il y a quelques années « et c’est ma classe qui est en train de la gagner », rien n’est moins sûr aujourd’hui. Les capitalistes ont mené la guerre au moment du covid mais ça a mené à la Grande démission où des millions de salariés ont redécouvert d’autres valeurs, refusent de se laisser exploiter, ce qui a fait monter partout les salaires des professions en tension, de 20% par exemple au USA sur les 3 dernières années Ils mènent aujourd’hui la guerre de l’inflation, une des manières traditionnelles de faire baisser les salaires, mais les résultats sont mitigés dans plusieurs pays, ils ne l’ont pas réellement gagnée en Grand-Bretagne et sont peut-être en train de la perdre aux USA, ce qui pourrait avoir des répercussions mondiales et modifier les rapports de force généraux.
Qui plus est, cet air du temps donne de l’audace à une nouvelle génération de syndicalistes sans oublier les écologistes. En plus du rattrapage des salaires (une augmentation de 36% aux USA correspondrait à rattraper ce qui a été perdu depuis 2007), l’UAW exige une indexation des salaires sur les prix et une refonte du système des retraites et de l’assurance santé qui se sont fortement dégradés, ce qui ne s’était pas vu depuis les grandes grèves de 1949 et l’accord de Chicago de 1950 qui avait suivi, entérinant pour la première fois dans l’histoire américaine par le rapport de force établi, des protections contre la vieillesse et la maladie. Plus encore, Shawn Fain exige de Biden – en cette période électorale – qu’il n’accorde les centaines de millions de subventions au patronat qu’aux entreprises acceptant la syndicalisation. Il fait ainsi hurler le patronat au danger communiste et la grande presse de le comparer à Walter Reuther : il fut un des fondateurs du syndicat CIO dans les années 1930 contre le pourrissement de l’ancien syndicat AFL et il fut en même temps signataire de l’accord de Chicago de 1950 et initiateur par là d’une collaboration au plus haut niveau entre les instances étatiques et syndicales et aux « trente glorieuses » de l’ascenseur social et de l’État de droit. C’est ce qu’il vise dans le conflit actuel.
On arrive là au maximum de ce que la société capitaliste peut accorder sous la pression ouvrière. Mais après les concessions des années 1936 dans le monde sous la pression des grèves, il y a eu quand même la guerre en 1939. Pour l’empêcher il aurait fallu plus qu’une pression, la révolution.
Cela commence aujourd’hui par ne pas laisser les instances syndicales décider à la place des travailleurs eux-mêmes bref par l’auto-organisation. Et la détermination à aller jusqu’au bout. Sinon, des journées saute-mouton du printemps contre la réforme des retraites en France malgré le nombre et la durée à la tactique de l’UAW de n’engager que des grèves partielles malgré le vote en faveur d’un grève totale de 97% des salariés concernés, on n’aura au mieux qu’une « pression ». Les capitalistes peuvent reculer momentanément – ou pas – parce qu’ils sont prêts à la guerre totale, mais ils reprendront l’offensive dès que la pression baissera et encore plus fortement pour reprendre ce qu’ils ont concédé et bien au delà, avec tous les moyens possibles, fascisme et guerre : 1939 par rapport à 1936 en a été la dernière illustration.
On ne peut gagner définitivement une guerre économique quand elle atteint le niveau de la guerre qu’en allant jusqu’au politique, en changeant de régime, en changeant de société. On ne pourra gagner sur les retraites ou l’inflation qu’en allant jusqu’au renversement de Macron et son monde.
La montée ouvrière mondiale actuelle posera de plus en plus partout cette question politique : quelle société nous voulons et comment y parvenir ? La joie et l’exultation profondes ressenties aujourd’hui dans les grèves aux USA ou ailleurs, porte cette question, celle de notre libération de toutes les oppressions et toutes les exploitations pour bâtir un monde meilleur.
Elle est plus que jamais à mettre à l’ordre du jour partout et dans tous les combats
Jacques Chastaing, 1er octobre 2023

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