2024 ANNEE HISTORIQUE POUR LA MARCHE DU PROLETARIAT VERS SON INDEPENDANCE POLITIQUE ET SON AUTO-ORGANISATION

2024 ANNEE HISTORIQUE POUR LA MARCHE DU PROLETARIAT VERS SON INDEPENDANCE POLITIQUE ET SON AUTO-ORGANISATION
Plus de la moitié de la population mondiale va s’exprimer dans les urnes en 2024, une première dans l’histoire de l’humanité, alors que, paradoxalement, la démocratie est remise en cause partout. En conséquence de ce double aspect, cela sera aussi probablement la première fois dans l’histoire de l’humanité que le prolétariat sera en situation d’accélérer à cette échelle sa marche vers son indépendance politique et son auto-organisation. Celle-ci est déjà en marche ici ou là, d’une manière ou d’une autre, peu ou prou, depuis les révoltes populaires d’importances qui ont traversé près de 100 pays depuis 2018. Mais en concentrant les évènements, 2024 pourrait lui faire faire un pas qualitatif et nous pouvons y jouer un rôle en contribuant à montrer ces évolutions mondiales et les politiques nécessaires qui en découlent.
On ne peut pas comprendre ce qui se passe en France et agir en conséquence, si on ne raisonne pas à l’échelle de la planète. Raisonner à l’échelle du monde et agir localement, disent les écologistes. Il en va de même en matière des combats sociaux et politiques.
La conquête de l’indépendance politique et de son auto-organisation est vitale pour le prolétariat et l’avenir de la planète. En montrer la marche, ses succès et ses échecs, tirer les leçons des nombreux exemples qui nous seront donnés en 2024, contribue à la construction de cette indépendance dont nous pouvons ainsi être acteurs. En attendant un wikipédia des luttes et des révolutions que les jeunes générations construiront certainement, internet nous permet déjà aujourd’hui de participer à l’émergence de l’intellectuel collectif sur la base duquel de nouveaux Marx surgiront peut-être demain au milieu de luttes d’ampleur comme on n’en a pas connu depuis longtemps.
Bien sûr, chaque pays a ses rythmes et son histoire mais la tendance est générale. Il ne s’agit plus ici, et ce dont nous allons parler ci-dessous, de combats de petits groupes, mais de l’ébranlement de masse de prolétaires, comme on ne l’a jamais vu.
En Argentine, le mouvement social et la tendance vers l’indépendance politique et l’auto-organisation n’ont commencé ni avant ni pendant le scrutin mais après. Après un long découragement des classes populaires par les politiques d’austérité de la gauche au pouvoir et de leur accompagnement par les directions syndicales, les électeurs ont choisi en novembre 2023, un fasciste, Milei, comme président, soutenu et amené au pouvoir par la droite traditionnelle, une tendance mondiale. Mais face à ses menaces d’attaques hyper violentes contre les conquis sociaux et démocratiques, il n’a pas fallu longtemps pour que la classe ouvrière se mobilise fortement dans déjà trois journées nationales et des grèves à l’initiative des organisations de base, entraînant ensuite les organisations institutionnelles à la perspective d’une grève générale le 20 janvier, comme point de départ vers l’idée émergente à la base qu’il faut un plan de lutte pour construire une grève générale politique qui renverse le nouveau président.
Cette situation donne tout à la fois une idée de la radicalité des attaques auxquelles Trump pourrait se livrer, à l’image de Milei, s’il était réélu, mais aussi de la riposte populaire tout aussi radicale qui peut l’attendre, puisque cette riposte a déjà montré ses potentialités avec des appels à la grève générale lors de ses velléités de putsch, renforcées aujourd’hui par la confiance ouvrière gagnée dans ses grèves victorieuses récentes et dans la construction au sein des structures syndicales de collectifs plus radicaux.
Les élections législatives au Bangladesh le 7 janvier ou au Pakistan le 8 février n’apporteront pas de surprise dans leurs résultats au sommet avec la réélection au Bangladesh du parti au pouvoir et d’un des grands partis traditionnels au Pakistan. Par contre ce qui se passe en bas est sans précédent. Depuis août 2022, un mouvement populaire massif quasi quotidien initié par une grève victorieuse des ouvrières du thé s’est levé au Bangladesh contre la hausse des prix, accompagné d’autres grèves victorieuses des enseignants ou des ouvrières du prêt à porter. Ce mouvement a pris un tour politique à l’approche des élections afin de chasser le gouvernement de centre gauche évoluant vers la dictature pro-capitaliste avec le soutien des principales directions syndicales. Sans indépendance politique des travailleurs, le mouvement a été pris en mains par les partis politiques traditionnels d’opposition, de gauche et de droite, mais qui, sous la pression populaire, ont organisé 23 journées de grève générale depuis le 29 octobre 2023 pour appeler au boycott d’un scrutin truqué, y compris avec un appel à la grève générale le jour même du scrutin et à continuer la lutte après les élections, déplaçant ainsi le centre de gravité politique vers les méthodes de la rue, de la grève, du prolétariat. On ne peut pas savoir ce qui se passera après la réélection du parti au pouvoir, qui a placé l’armée dans les rues, mais ce qui est sûr, c’est que ce pas vers la politisation des classes populaires est totalement inédit dans ce pays.
Au Pakistan, les mobilisations populaires dans le sillage de celles de l’Inde, durent sans discontinuer depuis octobre 2021. Elles ont déjà fait tomber deux gouvernements. Bien que le prolétariat ait été au cœur de ces bouleversements, là aussi, faute d’expression politique indépendante et du fait du discrédit de tous les grands partis, ce sont les courants indépendantistes des grandes provinces qui ont capté la colère populaire dans ce pays à l’unité jamais réellement réalisée. Dans cette période électorale, les situations sont proches du soulèvement et de la sécession dans cinq des six provinces du pays : grève générale contre la hausse des prix dans deux d’entre elles, en Azad Cachemire et Gilgit Baltistan, marche générale des femmes contre l’oppression au Baloutchistan, lutte généralisée contre la sujétion religieuse des talibans au « Pachtounistan » et enfin soutien aux autres dans une cinquième, le Sindh, tout cela sous l’influence directe et démocratique de sit-in populaires de lutte géants et décisionnels ou des anciennes structures d’auto-organisation, les Jirga. Cependant, la période a fait que même si les révoltes sont parties de tribus et de zones tribales, ce sont les jeunes générations de ces tribus connectées et urbanisées, qui les ont animées et en ont changé l’esprit du fait des migrations intérieures où elles se sont rencontrées dans les grandes villes de tout le Pakistan autant que par les téléphones portables. Elles orientent ainsi ces luttes vers un combat commun contre toutes les oppressions dans ce pays religieux et patriarcal, en bousculant y compris les frontières avec l’Afghanistan et l’Iran, derrière la lutte de femmes et avec des organisations laïques qui se réclament majoritairement du marxisme et de l’indépendance politique du prolétariat.
En Indonésie, où les élections ont lieu en février, la marche vers l’indépendance politique du prolétariat a pris un autre chemin. Dans un contexte où les organisations syndicales nées de la période qui a suivi la chute assez récente de la dictature sont relativement jeunes et combatives, elles ont choisi de s’unifier dans un parti politique ouvrier commun face à la menace d’un général sanguinaire dans les prochaines élections qui pourraient être les dernières encore un peu démocratiques. Ainsi, ce Parti ouvrier n’accepte que des candidatures politiques d’ouvriers de base menant des luttes revendicatives. Depuis novembre 2023, il mêle dans sa campagne électorale les grèves qu’il multiplie, y compris générales, pour notamment une augmentation des salaires de 15% et contre un projet de loi cassant les principaux acquis du droit du travail, avec la campagne électorale proprement dite, associant comme jamais les combats économiques de rue
et les combats politiques électoraux, bien en avant de ce que fait par exemple ici, LFI.
En Inde, avec des élections en mai, la coordination SKM des 600 millions de paysans-prolétaires, qui a l’habitude de fonctionner sous le contrôle des Mahapanchayat, AG géantes de démocratie directe, a d’ores et déjà placé le scrutin sous le signe de la grève générale afin de faire tomber le gouvernement d’extrême-droite en place. Dans ce but, elle a déjà organisé, deux journées de grève générale et prévoit en ce début d’année une campagne de mobilisation de 100 millions de paysans-prolétaires, prévoyant de reprendre au compte du peuple la fête nationale du 26 janvier adossée à une grève générale avec les organisations syndicales ouvrières le 13 février. Pour le SKM, cela est le prélude à une lutte acharnée, avant, pendant et après le scrutin autour d’un programme ouvrier anticapitaliste radical, contre les politiques de divisions et haines ethniques, religieuses et sexistes menées par l’extrême-droite au pouvoir au service du capital, affichant ouvertement la prise en main de l’agenda politique du pays par-delà ses institutions et systèmes de représentation électorale, au nom d’un programme indépendant ouvrier par ses objectifs et méthodes.
En Serbie, plus près de nous et sur fond de nombreuses grèves, la mobilisation populaire de masse tous les samedis depuis mars 2022 contre les violences suscitées par la politique de haine et de division de la droite populiste au pouvoir, a poussé ce dernier à initier des élections anticipées le 17 décembre 2023. Pour ne pas les perdre, le gouvernement a organisé une fraude à grande échelle. Cela a provoqué en retour une amplification de la lutte devenant quotidienne avec notamment une mobilisation des étudiants pour une vraie démocratie, donnant un petit parfum de mai 68 à cette fin d’année ouvrant probablement à un printemps de luttes et de politisation accélérées.
Il serait trop long pour cet article de continuer plus avant sur d’autres pays où des élections ont lieu un peu plus tard. Mais ces premiers exemples suffisent à voir se dessiner, dans le crépuscule mondial de la démocratie bourgeoise, cette tendance à l’apparition d’une démocratie prolétarienne, d’abord dans le cours de la lutte, pour ensuite et en même temps, en faire la perspective d’une autre société, d’un autre monde libéré de toute oppression et toute exploitation comme de la destruction de la nature.
Bien sûr, il ne s’agit que des premiers pas de la marche vers l’indépendance politique du prolétariat, et il y a bien des étapes pleines d’embuches à franchir avant d’y arriver pleinement alors que la bourgeoisie a un temps d’avance et mobilise à grande vitesse les forces de la réaction pour freiner ou stopper cette montée. Il y a une course de vitesse.
Mais rappelons-nous que s’il a fallu la Commune de Paris en 1871, pour que le prolétariat mesure à l’échelle mondiale, sa force et sa capacité à changer le monde, initiant à partir de là une nouvelle étape dans l’histoire de l’indépendance politique du monde ouvrier, les Communes de Paris de demain qui ne manqueront pas de venir, et pourquoi pas en 2024, auront un impact à la taille des villes d’aujourd’hui, des 31 millions d’habitants des mégalopoles de Jakarta, Chonqing ou Dehli, des 17 millions de Karachi, Lagos ou Téhéran, des 20 millions de Sao Paulo, Le Caire et Mexico, des 13 millions de Buenos-Aires ou encore des 19 millions de Los Angeles et bien d’autres encore.
L’avenir nous appartient. 2024 en donnera les premiers signes avant-coureurs.
Jacques Chastaing, 7 janvier 2024

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