Equateur : des hommes armés font irruption sur un plateau de télévision en direct

10 janv. 2024

Des hommes armés et cagoulés ont fait irruption, mardi 9 janvier dans l’après-midi, sur le plateau de TC Television, une chaîne publique à Guayaquil (sud-ouest de l’Equateur), et pris en otage des journalistes et d’autres employés, selon les images diffusées en direct par cette chaîne. Le président a déclaré le pays en état de « conflit armé interne ». Depuis trois jours, l’Equateur fait face à une crise sécuritaire sans précédent. L’état d’urgence a été déclaré après les mutineries et prises d’otages dans certaines prisons à la suite de l’évasion d’un puissant narcotrafiquant. Autrefois havre de paix, l’Equateur est ravagé par la violence des bandes criminelles depuis cinq ans. Entre 2018 et 2023, le nombre d’homicides a augmenté de 800 %, passant de six à quarante-six pour 100 000 habitants.

Quelles sont les origines de la crise sécuritaire sans précédent qui secoue l’Équateur?

Des soldats patrouillent les rues situées près du siège du gouvernement, dans la capitale Quito.
Dolores Ochoa Associated Press Des soldats patrouillent les rues situées près du siège du gouvernement, dans la capitale Quito.

Des prisons aux mains des gangs criminels, des rues soumises à la terreur des armes et des gouvernements acculés par le pouvoir des narcos : l’Équateur, autrefois un havre de paix, est à nouveau au bord du gouffre et se déclare en « conflit armé interne ».

Moins de deux mois après son entrée en fonction, le jeune président Daniel Noboa, 36 ans, a promis de s’attaquer à la violence croissante dans le pays liée au narcotrafic et s’est engagé dans une confrontation ouverte avec les gangs criminels.

Qu’est-ce qui a déclenché la crise ?

L’évasion dimanche de la prison de haute sécurité de Guayaquil, grand port du sud-ouest du pays, du redouté chef du gang des Choneros, Adolfo Macias, alias « Fito », est le point de départ de ce nouvel épisode de violence.

Le narco de 44 ans, photographié avec de longs cheveux hirsutes et une barbe proéminente lors d’un récent transfert de prison, purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans pour crime organisé, trafic de drogue et meurtre.

Il s’est volatilisé à la veille d’une opération de police dont il a visiblement été préalablement informé. Il s’était déjà évadé en 2013, mais avait été repris au bout de trois mois.

Deux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont été arrêtés après cette évasion.

Lundi, le président Noboa, élu en novembre sur la promesse de rétablir la sécurité dans le pays, a décrété l’état d’urgence.

Dans un autre décret mardi, il a ordonné « la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale » pour « garantir la souveraineté et l’intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non-étatiques ».

Quelle a été la réponse des gangs ?

Après l’évasion de « Fito », plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens ont touché diverses prisons, relayées par d’effrayantes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués et l’exécution d’au moins deux gardiens par arme à feu et pendaison.

Un total de 125 gardiens de prison et 14 agents administratifs sont retenus en otage dans au moins cinq prisons, selon l’administration pénitentiaire, qui communique très peu sur le sujet.

Mardi, Fabricio Colon Picole, chef d’un autre puissant gang, celui des Lobos, s’est aussi évadé.

Toujours mardi, des hommes armés ont fait irruption sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil, prenant en otages des journalistes et employés de la chaîne jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre.

L’ensemble des violences depuis le début de la crise a fait au moins dix morts.

Les gangs ont des alliances avec des organisations étrangères comme le cartel mexicain de Sinaloa et coordonnent leurs opérations depuis les prisons surpeuplées sous le regard complice de gardiens.

Comment l’Équateur en est-il arrivé là ?

Autrefois un havre de paix en Amérique du Sud, le pays est ravagé par la violence, avec un taux d’assassinats de 46 meurtres pour 100 000 habitants en 2023, le plus élevé de son histoire.

Les analystes estiment que cette violence « extrême » dans le pays s’est intensifiée sous le gouvernement du président conservateur Guillermo Lasso (2021-2023) qui a engagé un bras de fer contre les gangs criminels à l’origine d’attentats à la voiture piégée, de fusillades ou d’enlèvements.

Chaque fois que ces bandes tentaient d’intimider les Équatoriens, le président Lasso répondait par la force en plaçant le pays en état d’urgence.

« Ce que nous avons, ce sont trois organisations criminelles qui ne s’affrontent plus entre elles, mais qui affrontent l’État, elles ont un ennemi commun », souligne auprès de l’AFP César Carrion, chercheur à la Faculté latino-américaine des sciences sociales (Flacso).

Le président Noboa, sorti vainqueur d’une course à la présidentielle lors de laquelle l’un des principaux candidats a été assassiné, est sur une ligne encore plus dure que celle de son prédécesseur.

Il a récemment annoncé la construction de prisons de haute sécurité sur des bateaux et au milieu de la jungle, le renforcement du renseignement et du contrôle des frontières, ainsi que l’expulsion programmée de plus d’un millier de détenus étrangers.

Le plus jeune président de l’histoire de l’Équateur a promis la fin de l’époque où les criminels « dictaient au gouvernement en place ce qu’il fallait faire » et a pris des mesures pour « reprendre le contrôle » des prisons.

« La main de fer se met en place maintenant de manière explicite et avec une grande légitimité de la part de la population parce qu’elle est épuisée et n’en peut plus », analyse César Carrion.

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