Kim Stanley Robinson : « Chaque milliardaire est un échec politique »

Le Ministère du Futur de Kim Stanley Robinson, publié en 2020, vient d’être traduit en Français.

Auteur du « Ministère du Futur », Kim Stanley Robinson y décrit une réponse à l’urgence écologique qui passe par une violence politique contre les riches. À Reporterre, il confie la redouter et lui préférer la voie légale.

Kim Stanley Robinson est un des plus grands auteurs de science-fiction contemporains. Il a publié en 2020 Le ministère du futur, qui vient d’être traduit en France. Il y décrit un avenir proche bousculé par le changement climatique. Il a répondu par visioconférence à Reporterre depuis la Californie, où il réside.


Reporterre — Le forum de Davos a eu lieu cette semaine, et M. Macron s’y est rendu. Que pensez-vous de ce rendez-vous annuel des super riches ?

Kim Stanley Robinson — C’est une célébration du pouvoir capitaliste, et une proclamation qu’il est capable de résoudre les problèmes du monde. Les riches essaient de prétendre qu’ils sont vertueux. Mais ce n’est pas important. C’est juste une fête.
On y retrouve notamment des milliardaires. Quelle est leur utilité sociale ?

Chaque milliardaire est un échec politique. Les milliardaires ne devraient pas exister. Ils devraient être taxés jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Un impôt progressif est indispensable, dans la lignée des propositions de Thomas Piketty et de son équipe du World inequality lab.

Quel est pour vous le lien entre l’énorme inégalité d’aujourd’hui et la crise écologique ?

Le World inequality lab a montré que le 1 % des revenus les plus élevés ont une charge de carbone incroyable, qu’ils brûlent beaucoup plus de carbone que les autres humains. Si on taxait les 1 % pour qu’ils n’existent plus, deux choses se produiraient : il y aurait moins de carbone brûlé, et le reste de l’humanité penserait que nous faisons partie de la même civilisation, qui doit faire face à la crise écologique. S’il n’y avait plus de super-riches qui l’ignorent, alors oui, nous pourrions changer nos vies.

Dans votre livre, vous proposez de les tuer…

C’est un roman. Il y a des personnages dans le roman qui pensent que c’est ce qu’il faut faire, et je crois qu’il y a des gens qui vont penser cela. On peut rappeler que Barack Obama, quand il était président des États-Unis, a autorisé des meurtres extrajudiciaires, en dehors de la loi. Il a dû penser que l’équilibre moral était tel que s’ils étaient morts, ce serait mieux pour l’humanité. Il se trouve qu’il a aimé mon livre. Mais personnellement, je préfère la solution de Piketty : appliquez un impôt progressif. C’est légal, c’est puissant, cela change les comportements.

« Le fantasme d’un terrorisme efficace m’effraie »

Le livre articule des mesures politiques et des actes de sabotage, par exemple sur des avions qui s’écrasent ensuite. Et il dit que c’est efficace : quand les avions sont détruits, les gens n’en prennent plus, ce qui réduit les émissions de gaz à effet de serre.

Oui et le fantasme d’un terrorisme efficace m’effraie. Mais je ne sais pas si j’y crois. Il se retourne toujours contre les terroristes, leurs vies sont ruinées et ils sont traqués. L’État sécuritaire se développe et devient de plus en plus fasciste. Et il y a toujours des passants innocents qui sont tués. Le roman donne l’impression qu’une violence intelligente et ciblée fait partie de la solution, mais je ne pense pas que ce soit le cas.

Vous l’avez pourtant présenté comme une solution. Depuis 2018, il y a eu de grandes manifestations pour le climat en Europe et dans de nombreux pays. Mais vous pouvez avoir des millions de personnes pour le climat, cela ne change pas les gens à Davos ou les milliardaires. Donc, beaucoup de gens commencent à penser que ce qui est efficace est d’agir par le sabotage. Pensez-vous que cela soit juste ?

Mais pourquoi n’y a-t-il pas plus de sabotage aujourd’hui ? Pourquoi le mouvement écologiste n’a-t-il pas crevé les pneus des grosses voitures ? C’est un exemple d’une chose facile à faire, où l’on ne gâcherait pas sa vie. Et les grosses voitures finiraient par disparaître. Cela ne blesse pas les gens et fait du mal aux choses. Pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? Je n’en sais rien.

« Les banques ont besoin d’être embarrassées »

Mais je ne pense pas que la violence fonctionne. Elle retourne tout le monde contre vous. J’aime bien quand les gens font des actes comme se coller aux banques ou les envahir, parce que les banques, qui investissent encore dans les énergies fossiles, ont besoin d’être embarrassées. Mais si on s’allonge sur les autoroutes et qu’on arrête la circulation, les gens ordinaires qui essaient d’aller travailler vous maudissent et pensent que vous êtes une bande de privilégiés imbéciles. Chaque moment historique est contingent. Tant de conditions ont changé depuis quelques années qu’il faut inventer une méthode qui fonctionne pour nous.

Que s’est-il passé depuis que vous avez écrit le livre, en 2019 ?

J’étais vraiment en colère à l’époque. Trump était président. Personne ne prêtait attention au changement climatique. Rien ne changeait. Mais depuis, avec la pandémie, tout s’est accéléré. Les choses que j’imaginais se produire dans les années 2040 se passent maintenant dans les cercles politiques officiels. Le changement climatique est sur la table. Et bien que les milliardaires soient ambivalents et ne veuillent pas perdre leur pouvoir, les décideurs politiques, la partie de la technocratie qui s’intéresse à l’évitement de la crise, parlent tous du changement climatique comme d’une urgence.

Quelle est la prochaine étape ? Les manifestations ne semblent rien changer. Il faut changer les lois. Comment changer les lois ? Par l’action politique. C’est ennuyeux, c’est lent, c’est douloureux, on est souvent vaincu par l’argent. C’est ainsi. Et il faut mobiliser une population générale qui ne semble pas croire que c’est un problème actuel, parce qu’elle fait partie du précariat et qu’elle est très stressée.

Une autre partie du raisonnement du livre concerne les banques centrales, parce que selon vous, le vrai pouvoir est là. Pensez-vous vraiment qu’il est possible de les convaincre de ne pas laisser la civilisation s’effondrer ?

Oui, plus que lorsque j’ai écrit le livre. J’ai appris que l’idée d’une « monnaie carbone » (carbon coin), que je développe dans le livre, est déjà étudiée [1]. À mon insu, il existait un réseau pour l’écologisation du système financier, où l’on retrouve la Chine, l’Union européenne, les États-Unis et les plus grandes banques centrales du monde. Il n’a aucun pouvoir. Les différentes banques centrales continuent à prendre leurs décisions, mais elles se demandent ce qu’elles peuvent faire par rapport au climat.

Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi distribué environ 500 milliards de dollars à des pays en difficulté afin qu’ils ne fassent pas faillite. Nous devons investir dans les pays du Sud. Les banquiers centraux discutent déjà de cela. Si les pays développés dépensaient beaucoup d’argent maintenant de manière intelligente, ils pourraient éviter des coûts énormes plus tard.

Vous semblez optimiste, comme si la situation était meilleure aujourd’hui qu’il y a quatre ans. Pourtant, les indicateurs montrent que la situation ne s’améliore pas. Et l’on constate une montée forte de l’extrême-droite, qui ne se soucie pas du changement climatique, en Argentine, aux États-Unis, en Allemagne, en Israël, en France, etc.

C’est vrai. Mais je pense que la situation est meilleure qu’en 2019 même si les émissions n’ont pas encore commencé à diminuer. Il faut du temps pour changer de direction. Mais la différence entre aujourd’hui et 2019, c’est qu’on reconnaît qu’il y a un problème. Les États-Unis ont émis moins de carbone en 2023 qu’au cours des années précédentes en raison de la fermeture d’un grand nombre de centrales au charbon.

« La bataille des années 2020 : savoir qui contrôle la civilisation »

Ce phénomène pourrait se poursuivre dans le monde entier. Et si cela se produit, c’est vraiment l’administration Biden et la loi IRA qui en sont responsables. Maintenant, il y a des gens qui se battent pour dire : « Oh non ! Nous préférons précipiter le monde dans le vide ». Nous sommes dans une terrible bataille politique, c’est la bataille des années 2020, pour savoir qui contrôle la civilisation : les populistes de droite qui espèrent être élus et ensuite essayer de détruire les choses, ou la technocratie, c’est-à-dire les scientifiques, les bureaucrates avec une expertise technique, les diplomates du changement climatique, les organisations internationales

Comment imaginez-vous les dix prochaines années ?

Avec un mélange d’espoir et de crainte. La situation est extrêmement dangereuse. Si Trump redevenait président, nous aurions de terribles problèmes. La technocratie devrait faire son travail en secret, mais ce serait le signe que les gens ne comprennent pas et que la peur l’a emporté sur l’espoir.

Nous sommes à un point critique : soit nous allons vers l’utopie, soit nous tombons dans la catastrophe. Il y a une chose que l’on peut dire avec certitude, c’est qu’il s’agit d’une période de contestation intense, de bataille politique acharnée. La Terre est malade. Il faut la sauver, sinon la civilisation va s’effondrer.

 

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