Quand le ministre Darmanin se faisait conseiller fiscal du PSG au détriment du Trésor public

En 2017, Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, a aidé le PSG à économiser entre 67 et 224 millions d’impôts sur le transfert de Neymar !
Peut être une image de 2 personnes et texte qui dit ’2019 2019 AINT-GERMAIN MIS RIS RÉVÉLATIONS MEDIAPART EN 2017, GÉRALD DARMANIN, MINISTRE DES COMPTES PUBLICS, A AIDÉ LE PSGÀ ÉCONOMISER ENTRE 67 À 224 MILLIONS D'IMPÔTS SUR LE TRANSFERT DE NEYMAR’

Quand le ministre Darmanin se faisait conseiller fiscal du PSG au détriment du Trésor public

Mediapart révèle qu’à l’été 2017, le ministre des comptes publics Gérald Darmanin et son directeur de cabinet ont aidé le PSG à ne pas payer des dizaines de millions d’euros de taxes sur le transfert de la star brésilienne Neymar, contre la jurisprudence de l’administration.

Yann Philippin

4 janvier 2024

Six ans plus tard, cela reste le plus gros transfert de l’histoire du football. En août 2017, le PSG réalisait le casse du siècle en arrachant l’attaquant vedette Neymar au FC Barcelone pour 222 millions d’euros.

La facture, déjà astronomique, aurait pu être encore plus salée. Selon nos informations, les avocats du PSG estimaient probable que l’administration française réclame des dizaines de millions de taxes et cotisations sur cette opération.

Mais le club est parvenu, en seulement quatre jours, à éliminer complètement ce risque et à ne payer aucun impôt, grâce à une faveur accordée par le ministre des comptes publics de l’époque Gérald Darmanin (aujourd’hui ministre de l’intérieur), contre la jurisprudence de l’administration dont il avait la tutelle.

C’est ce que révèle une enquête de Mediapart, basée sur des documents inédits issus des « Football Leaks », obtenus par Der Spiegel et partagés avec l’EIC, ainsi que des documents judiciaires déjà dévoilés par Libération et L’Équipe.

Illustration 1
De gauche à droite, le président du PSG Nasser al-Khelaïfi, l’attaquant brésilien Neymar et le ministre Gérald Darmanin. © Illustration Sébastien Calvet / Mediapart

La justice s’est intéressée au transfert de Neymar dans le cadre de la tentaculaire affaire des barbouzeries du PSG, qui porte sur des enquêtes présumées illicites (via la consultation de fichiers de police) et des opérations de déstabilisation menées notamment au sein du club, ainsi que sur l’armée numérique pilotée par le directeur de la communication du club, Jean-Martial Ribes.

Jean-Martial Ribes a été pendant onze ans, jusqu’à son départ en mai 2022, l’un des plus proches collaborateurs du patron du PSG Nasser al-Khelaïfi. Il a été mis en examen le 1er décembre 2023 dans cette affaire pour sept délits, dont la corruption et le trafic d’influence dans le volet Neymar de l’affaire. Il est présumé innocent et conteste les faits qui lui sont reprochés.

L’affaire qui nous intéresse commence en juillet 2017. L’émir du Qatar, propriétaire du PSG, veut laver l’affront de l’humiliante défaite du club en Ligue des champions face au FC Barcelone en lui prenant Neymar. Puisque le club catalan refuse de le vendre, la seule solution est de payer 222 millions d’euros, le montant de sa clause libératoire.

Mais cela pose un gros problème fiscal. Le contrat de l’attaquant brésilien prévoit que c’est à lui de payer cette somme au Barça pour se libérer. Résultat : le PSG doit d’abord verser les 222 millions à Neymar. Avec le risque que ce paiement soit assujetti en France à l’impôt sur le revenu, mais surtout aux cotisations sociales qui financent la Sécu, comme n’importe quelle rémunération.

Je viens de parler à Darmanin. Il a bien le truc en tête et me dit qu’il y travaille.

Le député Hugues Renson au directeur de la communication du PSG

Cela commence à faire vraiment beaucoup d’argent. Le PSG fait plancher les meilleurs experts. Le 21 juillet, les avocats fiscalistes du club confirment, dans un mémo confidentiel issu des « Football Leaks », que « le risque de taxation en France est fort ». Ils ont établi quatre scénarios, selon lesquels le fisc et l’Urssaf (l’organisme qui prélève les cotisations sociales) pourraient réclamer entre 67 et 224 millions d’euros.

Le 24 juillet, c’est au tour d’Ernst & Young de livrer son analyse. « Vos avocats pensent à ce stade que le risque de devoir payer des charges sociales […] est probable », rappelle le cabinet, qui estime la facture potentielle à « 40 % du montant du transfert », soit 88 millions d’euros.

Pour le PSG, ce serait une catastrophe. Malgré ses moyens quasi illimités tirés de l’exploitation de ses gisements de gaz, le Qatar rechigne à verser plus de 222 millions. Le PSG doit donc obtenir, dès maintenant, la garantie qu’il ne paiera aucune taxe. Le temps presse : la proposition de contrat doit être envoyée à Neymar la semaine suivante.

Le 24 juillet à 20 heures, le directeur de la communication du club, Jean-Martial Ribes, appelle à la rescousse son « très bon ami » Hugues Renson, qui était jusqu’en 2022 député macroniste et vice-président de l’Assemblée nationale. Grand fan du PSG, où il rêve d’être un jour embauché, il rendait régulièrement des services au « dircom » du club, et bénéficiait tout aussi régulièrement de places gratuites au carré VIP du Parc des Princes.

Ribes lui demande de venir immédiatement dans un grand hôtel parisien, où il se trouve avec son patron Nasser al-Khelaïfi. Le député macroniste, qui est en pleine séance à l’Assemblée, accepte de quitter spécialement l’hémicycle pour les rejoindre à 21 heures. « Le sujet était Neymar », a confirmé Jean-Martial Ribes aux policiers.

Après un bref entretien, Hugues Renson retourne à l’Assemblée. À 22 h 14, il annonce à Jean-Martial Ribes qu’il vient « de parler à Darmanin » : « Il a bien le truc en tête et me dit qu’il y travaille. »

Il se trouve que Gérald Darmanin, homme de droite rallié à Emmanuel Macron et nommé ministre des comptes publics seulement deux mois plus tôt, est un très proche de Nicolas Sarkozy, lui-même extrêmement proche du PSG et du Qatar.


Le directeur de cabinet de Gérald Darmanin envoie des conseils au PSG pour contourner la jurisprudence de l’administration

Hugues Renson précise que les « supérieurs » du ministre, c’est-à-dire le « président » et son équipe, sont également impliqués. Emmanuel Macron a-t-il personnellement supervisé le dossier ? Interrogé par Mediapart, l’Élysée n’a pas répondu.

L’intervention du député semble en tout cas avoir été efficace : le soir même, le directeur général du PSG, Jean-Claude Blanc, s’entretient avec le directeur de cabinet de Gérald Darmanin, Jérôme Fournel – qui se trouve être aujourd’hui… le patron de la DGFIP, l’administration fiscale.

À 22 h 37, Fournel envoie par e-mail à Blanc, « suite à notre conversation », une note blanche non signée, intitulée « transfert joueur ».

Le bras droit de Gérald Darmanin écrit que la clause libératoire n’existe pas en droit français : il n’y a donc pas « de règles juridiques expresses ou incontestables », et il n’est pas possible de prévoir « à 100 % » si l’administration va décider de taxer ou pas.

Illustration 2
Extraits de la note blanche envoyée au directeur général du PSG par le directeur de cabinet de Gérald Darmanin le 24 juillet 2017. © Document Football Leaks / EIC

Mais il se montre pessimiste pour le PSG. « Les Urssaf se sont récemment prononcées, dans des cas assez similaires, dans le sens de l’assujettissement dans le cadre de contrôles dans le secteur du rugby. […] Même avec la meilleure volonté, les Urssaf pourront difficilement opérer un virage à 180 degrés sur ce dossier », prévient-il, ajoutant que l’Urssaf doit assumer la « responsabilité légale » exclusive de la décision, « sous le contrôle assez étroit de la Cour des comptes ».

Mais surprise : après ce sombre diagnostic, Jérôme Fournel propose des pistes au PSG pour échapper aux cotisations sociales, contre la jurisprudence de la caisse centrale de l’Urssaf, dont son ministre a la cotutelle (avec le ministre de la santé).

« Il est donc indispensable que la solution présentée aux Urssaf – il faudrait y veiller en amont – soit suffisamment différente et éloignée des précédents récents pour leur laisser un espace d’interprétation », indique-t-il au numéro 2 du PSG, en lui proposant « plusieurs solutions » techniques.

Jean-Martial Ribes, qui a obtenu la note, la transfère immédiatement à Hugues Renson.

J’étais avec Gérald. On a parlé. Il considère que c’est bon.

Le député Hugues Renson au directeur de la communication du PSG

Le lendemain, 25 juillet, Ribes relance le député dès 9 h 43 pour lui demander s’il a « des nouvelles du ministre ». Puis lui envoie un « mémo ultraconfidentiel » contenant la proposition du PSG en faveur d’une taxation zéro, rédigé sur la base des « solutions » suggérées la veille par le directeur de cabinet de Darmanin. « Ils doivent pouvoir accepter ça pour que l’on finalise », explique-t-il.

« Active supérieure (sic), c’est aujourd’hui ou jamais, insiste le directeur de la communication du PSG. Si ça ne passe pas cela aura un impact sur beaucoup de choses. […] C’est le deal sportif du siècle, il ne faut pas qu’il soit tué par I’administration. »

À 13 h 31, Hugues Renson lui indique avoir eu un message de Darmanin indiquant que « son dircab est en train de traiter » avec le club. Jean-Martial Ribes lui demande de faire « pression »« Je viens d’activer », répond le député.

Une heure plus tard, Jean-Martial Ribes apprend qu’une réunion d’arbitrage au sommet est prévue à 18 h 30 à Bercy, mais que les dirigeants du PSG « n’ont pas été invités ». Il s’en plaint à Hugues Renson, qui semble alors débloquer la situation. « Le ministère vient d’appeler, il [Jean-Claude Blanc – ndlr] y va, merci mon ami », le remercie Ribes.

Illustration 3
Le ministre des comptes publics Gérald Darmanin (aujourd’hui à l’intérieur) dans son bureau à Bercy avec son directeur de cabinet, Jérôme Fournel (aujourd’hui patron de la DGFIP), le 17 novembre 2017. © Elodie Grégoire / REA

Un courriel issu des « Football Leaks » confirme que Jean-Claude Blanc a bien assisté à la réunion. « Le débat n’est pas tranché », raconte dans la soirée le numéro 2 du club à ses troupes, précisant qu’une nouvelle rencontre décisive aura lieu au ministère « demain en début d’après-midi ».

Le lendemain 26 juillet à 15 h 05, juste après la réunion, Hugues Renson se charge d’annoncer la bonne nouvelle à Jean-Martial Ribes : « J’étais avec Gérald. On a parlé. Il considère que c’est bon. Le calendrier a l’air fixé. Et ce qui compte, c’est que les documents que nous avions évoqués soient produits. Ils protégeront. »

Le député a raison : dès le lendemain, le PSG reçoit deux « rescrits » fiscaux adressés par le fisc et l’Urssaf d’Île-de-France, qui annoncent au club qu’il n’y aura ni impôt ni cotisations sociales à payer au sujet de la clause libératoire de Neymar.

Le matin du 3 août, quelques heures avant l’officialisation du transfert de l’attaquant brésilien, Gérald Darmanin s’en était réjoui au micro de France Inter, en tant que « ministre des comptes publics », en raison « des impôts qu’il va pouvoir payer en France ».

« Il vaut mieux que ce joueur de football paie ses impôts en France qu’il les paie ailleurs », avait-il ajouté, assurant que « les intérêts du pays, et notamment ses intérêts financiers, seront bien observés ». Gérald Darmanin s’était bien gardé de mentionner la faveur fiscale qu’il venait d’accorder au PSG pour faciliter sa venue.

Neymar, qui a quitté le club à l’été 2023, a rapporté environ 24 millions par an à l’État et à la Sécu en impôts et cotisations sociales liés à son salaire, selon un calcul réalisé par Mediapart grâce aux documents « Football Leaks ». Mais l’argument est plus que discutable : rien ne dit que le Qatar aurait renoncé à l’acheter si le risque de payer des taxes sur son transfert n’avait pas été éliminé.

Sollicités par Mediapart, Gérald Darmanin et Jérôme Fournel n’ont pas répondu.

Hugues Renson semble pour sa part avoir été récompensé. Le 4 août 2017, Jean-Martial Ribes le remercie et lui annonce que ses deux fils feront partie le lendemain des « escort kids » qui accompagnent les joueurs lors de leur entrée sur le terrain, pour le premier match de la saison de Ligue 1 au Parc des Princes, et le premier de Neymar sous les couleurs du PSG.

Un mois plus tard, le député réclame et obtient, pour l’anniversaire d’un de ses fils, une photo de son rejeton avec Neymar dédicacée par le joueur. Toujours en septembre 2017, le directeur de la communication l’invite aux matchs du PSG contre Lyon, puis contre le Bayern de Munich en Ligue des champions.

Ce n’est, au final, pas cher payé pour un député qui a contribué à éliminer un risque fiscal de plusieurs dizaines de millions d’euros. Hugues Renson, aujourd’hui cadre dirigeant chez EDF, n’a pas donné suite à nos questions.

Lors de sa garde à vue, Jean Martial Ribes a relativisé l’entregent de l’ancien député : « Je ne pense pas que Hugues Renson avait le pouvoir de faire quoi que ce soit. […] C’est un vrai passionné du PSG […], c’est pour cela qu’il s’investit de cette manière. »

Jean-Martial Ribes a assuré aux policiers n’avoir joué qu’un rôle mineur dans l’opération : « Honnêtement, je n’étais pas dans ces discussions-là. […] J’étais hors sujet. […] Mon seul rôle est de pouvoir aider au maximum mon entreprise sur un enjeu très important. » Il a précisé que c’est « le directeur général du club, M. Blanc », qui a discuté avec Bercy.

« Neymar est un non-sujet pour mon client, parce qu’il n’a participé à aucune réunion avec les services concernés », indique à Mediapart son avocat, Romain Vanni.

Sollicités, le PSG et son président Nasser al-Khelaïfi ont refusé de répondre. Jean-Claude Blanc, qui a quitté le club en février dernier et dirige aujourd’hui la branche sport d’Ineos (actionnaire notamment de l’OGC Nice et de Manchester United) n’a pas souhaité commenter.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*