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Le ministre libanais de la Santé, Firass Abiad, brosse pour Radio-Canada un portrait de l’état du réseau de la santé dans ce pays, alors que les frappes israéliennes s’intensifient contre le Hezbollah.
Photo : Getty Images / AFP
Les hostilités entre le Hezbollah libanais et Israël ont commencé il y a environ un an, au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre l’État hébreu. Les violences, qui étaient autrefois limitées à la frontière entre le Liban et Israël, se sont toutefois considérablement intensifiées ces derniers jours, laissant place à une escalade.
En mars dernier, le responsable médical de l’hôpital gouvernemental de Saïda, l’une des plus grandes villes du Liban-Sud, affirmait à Radio-Canada que les établissements de santé du pays ne tiendraient pas deux jours
en cas de guerre de grande envergure avec Israël.
Six mois plus tard, alors que la guerre bat son plein entre les deux pays, Radio-Canada s’est entretenue avec le ministre libanais de la Santé, Firass Abiad – un ministre indépendant au sein du gouvernement démissionnaire libanais –, pour faire le point sur l’état dans lequel se trouve le réseau de santé dans ce pays, en proie à une série de crises économique, sociale et politique.
Photo : AP
L’entrevue a eu lieu quelques heures avant la frappe aérienne israélienne sur le quartier général du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth.
Réponse : Israël mène des frappes contre le Liban depuis octobre, mais ces frappes étaient ciblées au début. Il y a deux semaines, ces frappes se sont élargies, on l’a vu avec l’attaque des téléavertisseurs, et puis il y a eu la journée noire du lundi [23 septembre], une journée sanglante au cours de laquelle nous avons enregistré environ 600 morts. La plupart des victimes étaient des civils. Il y a eu aussi près de 1800 blessés ce jour-là. […]
Les hôpitaux qui se trouvent dans les régions visées travaillent à plein régime pour soigner les blessés. Évidemment, nous essayons de vider ces hôpitaux-là et de transférer les blessés vers d’autres établissements qui se trouvent dans des zones plus sécuritaires.
C’est certain qu’en raison du grand nombre de victimes, dont des civils, des travailleurs humanitaires et des secouristes, le réseau de la santé est aujourd’hui sous très grande pression.
Photo : Getty Images / AFP/MAHMOUD ZAYYAT
Depuis le 8 octobre, les bombardements israéliens ont fait plus de 1500 morts au Liban, dont un grand nombre de combattants du Hezbollah. En Israël, 25 personnes sont mortes des tirs de roquettes du Hezbollah, des militaires pour la plupart.
Question : Les hôpitaux peuvent-ils tenir si la guerre se prolonge, provoquant, par exemple, des coupures d’électricité ou des pénuries de carburant?
Réponse : Tout va dépendre de la suite des choses, si la guerre va encore s’élargir, s’il y aura une invasion terrestre, si les hôpitaux seront pris pour cible ou si les routes seront bombardées.
Notre système a pu s’adapter à plusieurs situations difficiles. Je ne dis pas cela pour minimiser l’impact de ces épreuves sur notre réseau de santé, mais il n’y a pas de doute qu’un autre pays n’aurait pas pu tenir face à tout cela.
Lors de l’explosion simultanée des téléavertisseurs, par exemple, il y a eu 3000 blessés en l’espace de quelques minutes et notre réseau a été capable de les soigner tous.
Les hôpitaux de Beyrouth ont été submergés en raison du nombre de blessés après l’explosion de milliers de téléavertisseurs, appartenant principalement à des membres du Hezbollah. Ces explosions ont toutefois fait plusieurs victimes civiles, étant donné qu’elles ont eu lieu dans des lieux publics.
Photo : Getty Images / ANWAR AMRO / AFP
En plus de tout cela, nous nous préparons à la guerre depuis octobre dernier : nous avons formé le personnel soignant, nous assurons la coordination entre les secouristes et les hôpitaux et nous avons organisé des exercices et des mises en situation dans les établissements de santé pour pouvoir accueillir un grand nombre de blessés.
Tout cela nous aide à être résilients, mais en fin de compte, il ne suffit pas d’être résilient, la solution doit être diplomatique
Plusieurs pays, dont le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, appellent à une trêve, mais malheureusement, [Israël] ne veut pas d’un cessez-le-feu et poursuit sa guerre dont l’issue est incertaine.
Question : Selon l’Organisation mondiale de la santé, Israël a mené 24 attaques contre les services de santé au Liban, entraînant la mort de 27 soignants et secouristes. 55 autres ont été blessés. Craignez-vous une répétition du scénario de Gaza où des hôpitaux ont été pris pour cible?
Réponse : Malheureusement, nous entendons aujourd’hui les mêmes arguments utilisés par Israël lors de sa guerre dans la bande de Gaza. Israël accuse le Hezbollah d’utiliser les civils comme boucliers humains, alors que ce n’est pas vrai. Il y a des régions chrétiennes qui ont été frappées et il est impossible que des membres du Hezbollah soient cachés dans ces zones-là.
Face à ces accusations et face à l’inaction de la communauté internationale, […] oui, on craint [qu’Israël] frappe nos hôpitaux comme il l’a fait à Gaza
Un homme transporte une bicyclette endommagée sur les lieux d’un bombardement israélien à Saksakiyeh, dans le sud du Liban.
Photo : Associated Press / Mohammed Zaatari
Question : Le Liban fait face à une pénurie d’équipements médicaux et à une pénurie de personnel soignant en raison de la crise économique. Quel est le portrait de la situation présentement?
Réponse : Concernant les équipements médicaux et les médicaments, nous avons assez de stocks pour quatre mois.
En ce qui concerne le personnel soignant, nous avons pris quelques initiatives. Par exemple, nous avons lancé une campagne avec l’Ordre des infirmiers et infirmières pour inciter les soignants qui sont chez eux ou qui ont été déplacés, ainsi que les étudiants, à prêter main-forte pour répondre aux besoins dans les hôpitaux.
D’un autre côté, il y a des équipes médicales d’urgence qui sont venues en renfort des États-Unis, du Canada et d’autres pays, ainsi que des équipes de Médecins sans frontières et du Comité international de la Croix-Rouge. Généralement, ces équipes spécialisées viennent avec leurs propres équipements et ont une certaine expérience dans ce genre de situation. Tout cela nous aide à combler nos besoins plus rapidement.
Deux personnes donnent du sang dans une clinique de la Croix-Rouge dans la ville portuaire de Sidon, dans le sud du Liban.
Photo : Associated Press / Mohammad Zaatari
Question : Le Liban est sans président depuis deux ans, le gouvernement est un cabinet démissionnaire, le Parlement est divisé… Quelles seront les répercussions de cette guerre sur le Liban, selon vous?
Réponse : Oui, le pays est divisé, c’est sûr. Mais en temps de guerre, […] il y a un certain élan de solidarité. Nous l’avons vu lors de l’explosion des téléavertisseurs, tout le réseau de la santé s’est mobilisé. Des blessés ont été transférés vers des hôpitaux dans toutes les régions libanaises pour y être soignés.
Nous ne voulons pas de cette guerre, nous voulons une solution diplomatique. […] Si Israël poursuit ses massacres, il y aura d’autres groupes qui vont s’impliquer, des groupes en Irak, au Yémen ou d’ailleurs, et toute la région se transformera en poudrière.
L’entrevue a été traduite de l’arabe et les réponses ont été éditées pour des raisons de longueur et de clarté.
Une adaptation en arabe (Nouvelle fenêtre) de cette entrevue est disponible sur le site de RCI (Nouvelle fenêtre).
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