De la vacuité du vote sous la Ve République

Alors que les électeurs ont majoritairement balayé sa politique et mis des bulletins protestataires, du NFP au RN, dans ses urnes, Macron sort de la naphtaline un baron de la droite la plus rance, courant ultra minoritaire à l’Assemblée. Que reste-t-il au peuple pour s’exprimer devant son insupportable mépris sinon les ronds-points, les ZAD et la rue ? De Bastille à l’Élysée, il n’y a qu’un élan…

Pour ce qui est de la stabilité qu’il appelait de ses vœux, Macron a fait fort et pas vraiment dans la nouveauté : voilà qu’il ressort des cartons d’archives un vieux briscard de la politique, le cuir tanné par un demi-siècle au service d’une droite conservatrice, pour ne pas dire rance, sous le parrainage de ses meilleurs barons, de Balladur à Sarkozy en passant par Chirac.

Un pur politicien professionnel, puisqu’il n’est jamais passé par le privé et n’a connaissances des affres du petit peuple que du haut de ses fonctions électives. Même si négocier avec les Anglais (brexit) vaut performance, Michel Barnier n’a rien d’un sage qui arbitre avec impartialité, mais est un prosélyte du capitalisme à la française et un conservateur pur jus ‒ la presse lui remet sous le nez, à juste titre, son vote contre la dépénalisation de l’homosexualité. Comble de l’ironie et de la provocation macroniste, il est un pilier indéfectible d’un parti, aujourd’hui dénommé Droite républicaine, qui a été laminé par les derniers scrutins ‒ depuis le premier mandat de Macron qui y a fait son marché ‒ et qui est en proie à un schisme des amis ultra-droitiers de Ciotti, lui-même toujours patron et maître des cordons de la bourse du parti.1

Au dernier chrono, La Droite républicaine ne pesait plus que 5,4 % et moins de 1,5 millions de voix, à peine plus que Ciotti et ses fachos pas tout à fait assumés. À mettre en face des voix protestataires exigeant une rupture avec ces vieilles lunes politiciennes, soit les plus de 7 millions de voix (25,68 %) du NFP et plus de 8,7 millions pour le RN (32,05 %), en tout dix fois plus de votants (57 %) qui n’ont plus qu’à avaler leur bulletin de vote. Sauf si Barnier joue, sans forcer sa nature, sur sa droite en direction d’un Ciotti triomphant et d’un RN, déçu de ses résultats, mais trop heureux de tenir sous ses rangers un premier ministre, voire un président. La gauche aura été le dindon de la farce du pseudo front républicain.

Tout est dans les « pouvoirs discrétionnaires »

Alors comment en est-on arrivé là ?

Rappelons d’abord que la constitution de la Ve République n’a pas été rédigée par une assemblée constituante, comme en 1946,2 mais par des gaullistes pur jus menés par un Michel Debré, baron du gaullisme, qui actera plus tard sa rupture avec son mentor, car opposé à l’élection du président au suffrage universel. Déjà le désir de l’entre-soi de la politique professionnelle. De Gaulle a été élu par 80 000 grands électeurs (députés, sénateurs, conseillers généraux, maires et délégués des conseils municipaux) le 21 décembre 1958.

Paradoxalement, l’élection présidentielle au suffrage universel, qui aura lieu sept ans plus tard, renforcera les prérogatives d’un président de la République et la personnification du pouvoir, entraînant la transformation des partis en véritables machines de guerre à gagner les présidentielles. Dans ce régime présidentiel qui ne veut pas dire son nom, les rédacteurs, pour renforcer son autorité, ont voulu lui donner des « pouvoirs discrétionnaires »,3 tout est là, devant lui permettre d’arbitrer des conflits mettant en péril le fonctionnement des institutions. Une liberté d’appréciation, d’interprétation donnée au président, même si Debré précise, devant le Conseil d’État, que « le président de la République, comme il se doit, n’a pas d’autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir ».

C’est là toute l’ambiguïté silencieuse du texte qui va permettre aux titulaires qui se succéderont à l’Élysée de dériver vers plus de pouvoir présidentiel : domaines « réservés » qui n’apparaissent pas dans la Constitution ; déni et contournement de la volonté populaire (54,87 %) qui dit non au référendum sur la constitution européenne ; Sarkozy qui réduit ses premiers ministres à des « collaborateurs » alors qu’ils sont chargés par la constitution de « détermine[r] et condui[re] la politique de la nation » ; pour en arriver à un Macron qui jette aux égouts les résultats d’un vote qu’il a lui-même provoqué et qui s’accroche à son trône malgré le désaveu massif de son règne.

La situation d’aujourd’hui n’est pas celle d’un chaos mais d’un blocage institutionnel par manque de démocratie réelle et par la conception d’un texte constitutionnel rédigé aux mensurations d’un militaire, général de surcroît, certes libérateur, mais qui n’était pas un militant d’une démocratie trop lâche menant, selon lui, à la « chienlit ».

Le risque d’une démocrature à la française

Il n’y a pas de démocratie idéale à l’échelle d’un pays de plus de 68 millions d’habitants. Mais la professionnalisation de la politique, alliée à un modèle représentatif sans garde-fous, excluant les comptes à rendre en dehors des échéances électorales, laisse la voie ouverte à une démocrature à la française, notamment si le RN accède à l’Élysée.

Une refonte complète de nos institutions est indispensable, ouvrant la voie à une démocratie populaire intégrale4 qui s’inscrit dans la vie sociale et, pour commencer, locale. Une constituante est donc indispensable. Un risque que ne prendront jamais les titulaires des pouvoirs nationaux et locaux actuels, quel que soit leur bord politique, après avoir mis tant d’énergie et de moyens pour accéder à leur siège de prépotence.

Le blocage actuel leur laisse un sursis, au moins jusqu’à la possibilité d’une nouvelle dissolution d’ici un an, pour relancer les mêmes dans un tour de trônes musicaux. La situation est donc bloquée par la seule volonté d’un hyper-président jupitérien qui devient le seul verrou d’une thrombose institutionnelle, caillot qu’il faut faire sauter, question de vie ou de mort devant les défis sociaux et écologiques qui impactent déjà durement la société et particulièrement les plus fragiles.

La demande de destitution en cours de LFI est propre à satisfaire les égos mais relève d’une méthode Coué dans le cadre de cette République qui oublie son peuple. Il ne reste plus qu’aux électeurs dépouillés et autres contestataires, silencieux, activistes, les ronds-points, les zad, les rues et boulevards, les lieux alternatifs… où on tente de réinventer une véritable démocratie à hauteur de voix. Sachez qu’à pied, il n’y a qu’une heure entre la Bastille et l’Élysée, bien moins qu’en 1789 entre la Bastille et Versailles…

1. Sa suspension de son siège de président a elle-même été suspendue par un tribunal administratif le 14 juin dernier en attendant une décision sur le fond.

2. Cette constitution a d’ailleurs été contestée, car entérinée par référendum, ce qui n’avait pas été prévu par les membres élus de 1946.

3. Les « pouvoirs propres » du président, c’est-à-dire non soumis à l’aval d’un premier ministre et de son gouvernement, sont par exemple la nomination de ce premier ministre, la dissolution de l’Assemblée nationale (mais pas du Sénat), le recours au feu nucléaire ou au référendum ou la mise en œuvre de pouvoirs exceptionnels, comme en 1961 lors du putsch d’Alger. Si sont ajoutés au fil des mandats et de l’appétit de pouvoir des locataires de l’Élysée, les domaines « réservés » comme la politique étrangère et particulièrement européenne, et par voie de conséquence, l’extension des prérogatives de chef des armées, notamment pour les opérations extérieures.

4. Ne pas confondre avec la propagande chinoise qui promeut cette démocratie populaire intégrale (pour les autres?) venant du pays du dictateur Xi Jinping, qui réduit toute autre culture que les Han à l’acculturation et au quasi-esclavage. Voir par exemple ces organes de propagande ici et ici.

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