En un peu plus de deux mois, le candidat républicain a été victime de deux tentatives d’assassinat. Une violence politique qui fait écho à l’histoire d’un pays hanté par la guerre civile. Mais s’explique aussi par le travail de sape contre la démocratie états-unienne par l’ancien président, qui n’a jamais accepté sa défaite en 2020.
Depuis le retrait du président états-unien, Joe Biden, et son remplacement par sa vice-présidente, Kamala Harris, les partisans de Donald Trump ne cessaient de dénoncer le silence des médias sur la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet le 13 juillet en Pennsylvanie en plein meeting et dont l’auteur – un jeune homme de 20 ans – avait été tué.
Il est vrai que le candidat républicain pour la présidentielle avait alors profité d’un regain de popularité en raison de sa position de victime. Et son statut de héros invincible lui avait permis de renforcer son aura auprès de ses fans.
Quelques heures après, Trump avait discuté au téléphone avec celui qui avait décidé de se retirer de la course présidentielle pour le soutenir, Robert F. Kennedy Jr. Celui-ci n’est autre que le neveu du dernier président assassiné, en 1963, John Fitzgerald Kennedy, et fils du sénateur Bob Kennedy, lui-même tué en 1968 alors qu’il venait de remporter les primaires démocrates en Californie. Trump lui a demandé, selon le témoignage du descendant de la famille Kennedy : « Est-ce que vous croyez en Dieu ? » « Je lui ai dit : “Oui.” Et il a dit : “Je pense que moi aussi, maintenant”. »
Peu avant le premier débat mardi dernier entre Donald Trump et Kamala Harris, la femme du premier, Melania Trump, avait publié une vidéo très brève et étrange dans laquelle, sur le mode complotiste, elle dénonçait à la fois le silence des médias sur la tentative d’assassinat et se demandait pourquoi aucun des officiers de sécurité n’avait arrêté l’auteur des tirs avant le rassemblement. « Il reste certainement encore beaucoup à dire, et nous devons faire éclater la vérité », avait-elle conclu.
Ces attaques sur le silence supposé des médias avaient redoublé après le débat télévisé entre Donald Trump et Kamala Harris, où le premier n’avait guère brillé. « Alors que le peuple américain se souvient de ce jour funeste, les médias d’extrême gauche sont déterminés à l’effacer de l’histoire, comme l’a démontré ABC lors du débat présidentiel en ne posant pas une seule question sur la tentative d’assassinat », a déclaré au journal Deseret News Halee Dobbins, directrice de la communication du Comité national républicain pour l’Arizona et le Nevada, juste après le duel.
Lors de leur confrontation, Donald Trump avait rejeté sur les partisans de Kamala Harris la responsabilité de l’attaque : « J’ai probablement pris une balle dans la tête à cause de ce qu’ils disent de moi », avait-il déclaré en faisant un geste en direction de Kamala Harris. « Ils parlent de démocratie, [disent que] je suis une menace pour la démocratie. »
Nul doute que la tentative d’assassinat déjoué dimanche par le Secret Service va relancer le maelstrom politique et médiatique.
La violence politique, une histoire ancienne
Le FBI a annoncé « enquêter » sur ces faits, pour lesquels un suspect a été arrêté mais qui n’ont blessé personne. Selon les médias américains, il s’agit de Ryan Wesley Routh, que l’AFP avait interviewé en 2022 à Kyiv (Ukraine), où il s’était rendu en soutien au peuple ukrainien. Âgé de 58 ans, il a été arrêté après que des agents des services secrets états-uniens ont « ouvert le feu sur un homme armé » portant un fusil de type AK-47 près du terrain de golf de Donald Trump, en Floride, où l’ancien président était en train de jouer, dimanche 15 septembre.
Sa rivale démocrate Kamala Harris s’est dite « profondément perturbée par la possible tentative d’assassinat de l’ancien président Trump » et a plaidé pour que « cet incident ne conduise pas à plus de violence ».
La violence politique aux États-Unis est une histoire ancienne. Quatre présidents ont été assassinés : Abraham Lincoln en 1865, alors que la guerre civile (guerre de Sécession) venait de s’achever, James Abram Garfield en 1881, William McKinley en 1901 et John F. Kennedy en 1963.
Comme l’a pointé il y a quelques jours une des spécialistes de la question, Rachel Kleinfeld, chercheuse à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, il existe aux États-Unis une « longue histoire de la violence politique, avec des hauts et des bas ». Dans Le Monde, juste après la première tentative d’assassinat contre Trump, Anne-Lorraine Bujon, directrice de la rédaction de la revue Esprit, soulignait que « la violence politique aux États-Unis a […] partie liée avec une histoire de conquête et de prédation, comme avec l’héritage de l’esclavage et du siècle de ségrégation qui l’a suivi ».
Depuis 2020, le pays vit certainement de nouveau un pic, et l’un des principaux responsables s’appelle Donald Trump. En refusant de reconnaître le résultat de l’élection – il a été inculpé en août 2023 pour avoir tenté d’obtenir l’inversion du résultat de l’élection de 2020 en Géorgie, un État clé – et en affirmant qu’elle a été volée, l’ancien président a sapé une confiance dans l’État fédéral déjà bien minée par les décisions prises pour contrer la pandémie de Covid-19. Pour la première fois dans l’histoire du pays, des responsables de l’administration électorale ont été menacés, voire attaqués.
Il existe d’ailleurs un terreau fertile, avec une polarisation marquée entre deux camps, une diffusion des discours de haine et de désinformation, un manque de confiance dans les institutions, la domination de l’argent dans le processus électoral, une nation surarmée : il y a plus d’armes dans les mains de personnes privées aux États-Unis que dans toutes les armées du monde.
Il n’est donc pas étonnant que le thème de la guerre civile, qui hante les mémoires depuis le conflit sanglant qui a opposé le Nord au Sud entre 1861 et 1865, resurgisse dans les commentaires des spécialistes ou militant·es politiques. Ainsi Tom Klingenstein, le président de l’institut Claremont, un laboratoire d’idées trumpiste, affirme que le pays doit faire face à un nouveau totalitarisme, le « régime woke », et que pour le combattre, « nous devons d’abord comprendre que nous sommes en guerre ».
On retrouve ces idées également dans nombre de publications. En 2022 paraissait notamment How Civil Wars Start: And How to Stop Them de Barbara F. Walter (Comment les guerres civiles commencent : et comment les arrêter, non traduit). Le cinéma – le film Civil War d’Alex Garland, sorti cette année, décrit une Amérique en guerre contre elle-même – et la littérature ne sont pas en reste.
En 2023, Douglas Kennedy a publié une dystopie qui se passe en 2045, où il imagine une nouvelle guerre de sécession. « On a deux pays et on se déteste », expliquait-il à la télévision française, affirmant que le fanatisme était dans l’âme américaine. Les pionnières et pionniers de la colonisation britannique, les passagères et passagers du Mayflower, étaient « les talibans du XVIIe siècle », a-t-il lancé.
Les élections, un moment de tensions
Dans ce contexte, la période électorale est un moment particulier où ceux – car il s’agit souvent d’hommes – qui pensent qu’il suffit d’appuyer sur la détente d’une arme pour régler tous les problèmes franchissent le pas. Mais pour arriver jusqu’à la violence, les propagateur·es de haine constituent un maillon nécessaire, que ce soit des opérateur·es des médias ou des politicien·nes. Et c’est là que Trump a joué un rôle essentiel. Même s’il en est aujourd’hui la cible.
« La polarisation ne rend pas les gens violents, mais elle peut agiter des gens qui se trouvent à la limite, en leur désignant des cibles », indique Rachel Kleinfeld, soulignant que les auteurs d’actes violents souffrent souvent de troubles psychiques. Ce qui semble le cas pour le suspect de dimanche. Selon Le Monde, « si l’on en croit ses écrits, Ryan Routh paraît surtout présenter les caractéristiques d’un mythomane, d’un mégalomane et d’un velléitaire ».
Un journaliste du New York Times a raconté l’avoir interviewé au téléphone après avoir appris qu’il cherchait à recruter des Afghans pour combattre en Ukraine. « Il a parlé d’acheter des fonctionnaires corrompus, de falsifier des passeports et de faire tout ce qu’il fallait pour que ses cadres afghans se rendent en Ukraine, mais il n’avait aucun moyen concret d’atteindre ses objectifs », écrit le reporter. « J’ai secoué la tête. Cela semblait ridicule, mais le ton de la voix de M. Routh disait le contraire. Il allait soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine, quoi qu’il arrive. Comme beaucoup des volontaires que j’ai interrogés, il a de nouveau disparu de la carte. Jusqu’à dimanche. »
À l’approche du scrutin du 5 novembre, une grande crainte monte dans le pays. Que se passera-t-il dans ce climat explosif ? Une victoire de Trump ne manquera pas de déclencher une vague de manifestations en provenance de la gauche démocrate. Si Kamala Harris devient la première présidente noire du pays, assistera-t-on à de nouvelles attaques du Capitole, comme en janvier 2021 ?
En 2020, après les contentieux électoraux en Géorgie, le Centre Carter, habitué à superviser les élections à l’étranger, a lancé ses activités aux États-Unis dans six États – Arizona, Floride, Géorgie, Michigan, Caroline du Nord et Wisconsin. Une première depuis sa fondation en 1982. Et une illustration de la dégradation du climat.
Des initiatives ont surgi pour tenter de lutter contre ce phénomène inquiétant. L’ABA (American Bar Association), le principal organisme de représentation des professions juridiques outre-Atlantique, a ainsi lancé en août une « task force » pour la démocratie américaine.
« Tout comme les médecins ont été en première ligne pour répondre à la pandémie de Covid-19, les avocats doivent maintenant répondre à l’appel pour défendre la démocratie constitutionnelle américaine et l’État de droit », a expliqué l’association. Un ensemble d’initiatives ont été mises en marche pour permettre aux avocat·es de veiller au bon déroulement du scrutin et s’assurer de son intégrité.
Le pire n’est pas une fatalité.
Poster un Commentaire