En allant vers l’automne, quelque chose d’imperceptible change dans l’air du temps qui, sans aller jusqu’à lui donner un parfum printanier, envahit peu à peu le moment sans qu’on puisse encore pour le moment le définir précisément mais nous fait marcher d’un pas plus assuré et plus confiant qu’au printemps dernier alors que pourtant tout ce qui vient d’en haut devrait au contraire nous consterner et nous décourager.
Cet air souffle d’en bas et glisse l’extraordinaire dans l’ordinaire.
Commençons par ce qui est le plus souvent classé dans les faits divers et qui est pourtant un des marqueurs importants de cette rentrée. Le procès des viols monstrueux de Mazan et l’immense courage de Gisèle Pélicot qui fait de son histoire horrible de viols à répétition un procès hors norme, au point que la presse étrangère y est présente en nombre avec des articles qui sont lus avec passion dans le monde entier reflétant l’espoir que peut-être quelque chose va changer. Ce qui frappe c’est que Gisèle Pélicot a vaincu sa peur, comme la peur de toutes les femmes violées au point aussi où des manifestations importantes de soutien à Giséle ont eu lieu ce samedi un peu partout dans le pays pour la soutenir et la remercier d’avoir donné ce courage à toutes et tous et fait de ce « fait divers » une dénonciation générale du patriarcat. Il ne faut pas s’y tromper dans l’air du temps, ce degré de courage – par les manifestations de soutien qu’il a entraînées – fonctionne ainsi comme un curseur d’une dynamique plus générale des luttes féministes actuelles, elle-même révélatrice d’une phase ascendante d’une révolution silencieuse plus large, où dans cet instant de radicalité, l’utopie cherche à triompher.
Prolongeons. C’est parce qu’ils avaient vaincu leur peur et qu’ils contestaient l’autorité du roi anglais Georges III que les américains revendiquèrent également l’abolition du roi dans la famille – et inversement – de même qu’en France où la mobilisation des femmes dans l’abolition de la royauté, leur permis d’obtenir le droit au divorce en 1792. Or, cet amenuisement de la peur aujourd’hui qui permet le renversement de la « royauté » dans les foyers fait écho non seulement à la nécessité de renversement de la royauté macronienne dans le pays qui sourd de partout depuis déjà un certain temps tout autant qu’au même sentiment d’amoindrissement de la peur face au RN pourtant quasi au gouvernement, alors que hier au moment de la dissolution, la peur qu’il accède au gouvernement nous mobilisait tous. Aujourd’hui où nous avons un gouvernement quasi RN, nous n’avons plus peur. C’est cela, je crois, qui marque cet air du temps.
Or, notre victoire contre la peur vient probablement de ce que nous avons gagné le 7 juillet.
C’est pourquoi, Macron, toute la bourgeoisie et toute sa presse voudraient nous enlever cette victoire par le refus de la reconnaître en ne nommant pas Lucie Castets au poste de 1er ministre : les anti-racistes ont été plus forts et plus nombreux que les racistes et le RN à qui les sondages, la presse et les partis prédisaient un immense succès, est relégué à la troisième position ! Il faut bien mesurer la dimension exceptionnelle de ce succès. C’est le fondement de toute la politique actuelle de la domination bourgeoise depuis 40 ans qui part en fumée : c’est le témoignage que le racisme qui divise et affaiblit les classes populaires peut être battu, c’est la démonstration que le racisme ne vient pas d’en bas mais est instillé par en haut, c’est enfin l’effondrement de la politique de barrage contre l’épouvantail RN dont la montée prétendument inexorable permettait aux pions traditionnels de la bourgeoisie de gagner les élections tout en distillant le racisme pour le maintenir à un haut niveau. La base politique de domination du parti de l’ordre – depuis 1983 et le premier succès électoral du FN – s’est effondrée au résultat du 7 juillet et surtout par la campagne inédite qui y a mené, avec une prise en main de cette campagne par la base, y compris celle des quartiers, tout autant haïs que craints. Comme le décrit la presse espagnole, Macron erre comme un zombie dans les décombres de la Ve république.
Ainsi, ce n’est pas seulement la presse des milliardaires d’extrême-droite qui a plébiscité le coup de force de Macron pour tenter principalement d’effacer des mémoires cette victoire, mais aussi Le Monde, La Croix, France Inter… qui tous ont applaudi à la nomination de Barnier et à l’alliance RN/LR/LREM comme gage de stabilité… contre ce spectre qui les inquiète tous : les classes populaires qui retrouvent confiance en elles-mêmes, qui n’ont plus peur. Car si ce mouvement se perpétue et se renforce, cette confiance, cette absence de peur, peuvent non seulement remettre en cause le gouvernement Barnier, le régime de Macron, la réforme des retraites et le blocage des salaires mais aussi tout l’ordre capitaliste. Cette confiance en effet, ce n’est pas seulement que le NFP arrivé en tête avec une majorité relative, c’est derrière cela l’ouverture à l’affirmation d’une immense majorité qui est déjà latente, mais sans encore d’expression, une majorité à 93% pour abroger la réforme des retraites, pour augmenter les salaires, pour embaucher massivement dans les services publics ou rompre avec les politiques climaticides et une majorité qui brise les divisions installées par le RN et l’ensemble du système. C’est l’ouverture de tous les possibles et en perspective la déstabilisation de l’ordre social d’exploitation et d’oppression
C’est ainsi qu’il faut lire la mobilisation du 7 septembre pour la destitution de Macron qui est le prolongement de la mobilisation qui a mené à la victoire du 7 juillet et qui va se poursuivre le 21 septembre et le 1eroctobre. Il faut en être de toutes ses forces conte le coup d’Etat de Macron et y affirmer notre volonté de le destituer tout comme le gouvernement Barnier/Le Pen. Ces 3 journées ne sont pas une série d’actes isolés mais l’embryon d’un plan de mobilisation, un processus qui en revendiquant ensemble la destitution de Macron et la défense des retraites et l’augmentation des salaires, les lie très justement l’un à l’autre nous plonge dans un inédit subversif. Nous ne gagnerons pour la retraite et les salaires ou l’écologie, le racisme et la condition des femmes qu’en visant la destitution de Macron. Et nous ne gagnerons contre Macron qu’en liant ce combat aux retraites, aux salaires, à l’écologie, à l‘antifascisme, au féminisme. C’est la leçon de la défaite des retraites au printemps dernier où les directions syndicales ont lâché le mouvement parce que celui-ci s’orientait logiquement contre les blocages de Macron et ses 49.3 vers la remise en cause du régime de Macron lui-même et qu’elles n’ont pas voulu accompagner le mouvement jusque-là. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans la même situation mais un pas plus loin. Le coup de force démocratique de Macron a été plus loin que les 49.3 et la question de sa destitution est posée par un courant réel de la population dans la rue qui avance aussi la question des retraites. De leur côté, les directions syndicales présentent le 1er octobre comme le retour du mouvement du printemps 2023, mais elles n’annoncent pas de suite et sont prêtes à retourner dialoguer pour certaines d’entre elles avec Barnier ou Macron, légitimant ainsi le putsch de ces derniers, jetant ainsi à l’avance les bases de leur propre défaite.
Déjà, le 7 septembre de nombreuses structures syndicales de base avaient désobéi aux directions syndicales qui n’appelaient pas à cette journée, en y étaient présentes elles et en nombre. Elles doivent être encore plus nombreuses le 21 septembre tout à la fois pour dénoncer le coup de force de Macron/Barnier/Le Pen, associer ce combat aux revendications économiques et sociales, renforcer ce courant populaire existant et faire ainsi que le 1eroctobre ne soit pas la fin d’un processus, comme s’y préparent certainement les directions syndicales mais le début de son extension, bref que le 1eroctobre ait une suite bien plus large pour gagner.
Ainsi, la démocratie serait rétablie par un troisième tour social. Contre Macron, qui se croît le maître des horloges, nous changerions l’horaire du monde en établissant, nous et pas lui, l’agenda de cet automne et en fondant une nouvelle quotidienneté d’émancipation humaine. C’est également ainsi que ce mouvement qui s’était déjà auto-institué en juin/juillet dans les élections contre le RN pourra demain développer sa propre auto-organisation contre Macron/Barnier/Le Pen, légitimité à le faire par son originalité et capable de la faire vivre par son imagination créatrice et sa réflexion critique. C’est dans ces moments où on sent la possibilité d’une détonation soudaine d’énergie et d’inventivité populaire où on ne peut plus compter sur les habitudes, que la population se mue en peuple au sens d’une catégorie politique qui devient une force agissante, consciente de sa puissance comme de sa légitimité.
C’est cet air du temps où la peur s’estompe et la confiance revient, qu’on lit dans le courage de Gisèle comme dans le processus qui va du 7 juillet, au 7 septembre, au 21 septembre, au 1er octobre et peut-être au-delà. C’est celui où des êtres humains cherchent à se comporter en temps qu’êtres humains et plus en simples rouages d’une machine où les taches productives sont réservées aux uns et les responsabilités aux autres, où on nous écartèle entre nos dimensions économiques, politiques et sociétales, où on nous balade en conséquence de journées revendicatives saute-moutons en journées saute-moutons ou d’élections en élections d’où nous sommes exclus si nous les gagnons. C’est un temps où les rois au foyer comme sur la scène politique peuvent devenir des pantins sans autorité et où leur ordre est transgressé au point que ceux qui n’avaient aucun titre, femmes, travailleurs, jeunes, immigrés se donnent soudain le droit de monter sur la scène du commun et de le construire ensemble.
C’est aussi la banalité d’un processus qui peut être révolutionnaire mais qui n’est cependant perceptible qu’à condition de sortir de ses frontières et d’élargir son regard à ce qui se passe aujourd’hui dans le monde du Bangladesh à l’Inde, du Sri Lanka au Nigeria ou au Kenya.
Ouvrons nos regards !
Jacques Chastaing, 15 septembre 2024
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