- MEDIAPART
- 4 AVR. 2020
- PAR JEAN-MARC B
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EXCLUSIF. Comment la France se prive de 150 000 à 300 000 tests par semaine
VIDÉO. Depuis le 13 mars, le gouvernement dispose d’une solution pour augmenter considérablement les capacités de tests de la France. Mais rien n’a bougé.
Par Géraldine Woessner
Cela explique la pénurie actuelle de réactifs : les appareils disponibles dans les CHU ou les laboratoires privés, peu nombreux, sont souvent limités aux réactifs de leurs fabricants (une machine bioMérieux ne peut pas traiter un réactif Roche, par exemple.) À l’inverse, les machines utilisées dans les laboratoires départementaux sont « ouvertes » : « Pour nous prémunir contre une pénurie de réactifs en cas d’épizootie, nous avons choisi d’utiliser des thermocycleurs qui acceptent différents types de réactifs, précise Philippe Nicollet. Nous pouvons donc travailler avec une trentaine de kits disponibles. » Des tests PCR, ils en réalisent des centaines par jour. Et, parmi leurs kits, certains détectent déjà le coronavirus : « Le Covid-19 appartient à la même famille que les autres coronavirus ! » insiste Jean-Pierre Barreaud, président du laboratoire d’analyses départementales de la Creuse. « Il suffirait de vérifier auprès de l’Institut Pasteur que nos kits sont fiables, de les adapter au besoin… C’est l’affaire de quelques jours », confirme Jean-Louis Hunault, président du SIMV (Syndicat de l’industrie du médicament et du diagnostic vétérinaires).
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Une proposition est adressée par mail dès le 15 mars
Lorsqu’ils entendent, le 12 mars, Emmanuel Macron appeler à la mobilisation générale, les acteurs de l’analyse vétérinaire se lancent dans un recensement de leurs « troupes ». Soixante-quinze laboratoires d’analyses départementaux maillent le territoire. Du personnel de pointe, formé et compétent, est disponible pour réaliser les tests. Des chaînes capables de travailler à grande échelle sont opérationnelles. Et des fournisseurs, capables de pallier, en partie, la pénurie de réactifs qui fait les unes de la presse se manifestent aussitôt : les fabricants (tous basés en France) IDVET, IDEXX, BIOSELLAL confirment qu’ils disposent de la matière première pour fournir des kits en grande quantité. Une proposition est adressée par mail dès le 15 mars au directeur général de la santé Jérôme Salomon. Quelques jours plus tard, les professionnels ont établi leur plan : les laboratoires départementaux pourraient réaliser, sous un délai de 15 jours, entre 150 000 et 300 000 tests PCR par semaine. Et ils sont outillés pour traiter en masse les tests sérologiques à venir, éléments clés de la sortie de confinement, qui permettront de déterminer quelle population est immunisée.
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La réponse ? Pas de réponse.
« On nous répète, depuis, que le dossier est à l’étude », se lamentent différents acteurs, qui se battent localement pour accélérer la décision. Dans le département d’Indre-et-Loire, les élus s’en arrachent les cheveux. Le laboratoire du secteur couvre quatre départements. « Notre labo [Inovalys, NDLR] peut monter à 2 000 tests par jour, il a stocké des réactifs pour 30 000 tests, et acheté 30 000 écouvillons pour les prélèvements », détaille un proche du dossier, que la préfecture essaie vainement de pousser depuis deux semaines. « Nous avons établi un protocole de prélèvement avec le CHU de Tours, tout le monde travaille en intelligence, on est prêts… Mais l’ARS bloque. » L’ARS : l’Agence régionale de santé, instance administrative dépendant du ministère, qui refuse pour l’instant l’hypothèse, d’après des motifs flous. « On ne nous a pas vraiment dit ce qui bloquait », explique Jean-Gérard Paumier, président du conseil départemental d’Indre-et-Loire. « On me parle de blocages juridiques, qui seraient à l’étude… Mais moi, sur le terrain, je dois gérer mon personnel d’Ehpad, qui vient travailler sans être testé, la peur au ventre, et qui menace de s’arrêter chaque jour ! » À l’heure actuelle, le CHU n’est en mesure de délivrer qu’une centaine de tests quotidiens… Insuffisant pour tester l’ensemble du personnel hospitalier, celui des Ehpad, de la gendarmerie, des pompiers, sans parler des manutentionnaires, livreurs et caissières de supermarchés, qui redoutent chaque jour de contaminer quelqu’un – ou d’être contaminés. « Je n’ai pas l’impression qu’ils réalisent, au ministère, les conséquences concrètes de leur blocage. J’entends partout qu’une rupture de la chaîne logistique serait terrible pour le pays, mais on ne fait rien pour l’empêcher. Et sur le front, la ligne de soldats se réduit ! »
Un blocage administratif
L’explication (parcellaire) fournie jusqu’à présent par les services d’Olivier Véran, qui refusent de répondre aux questions, tient en une formule sibylline, répétée hier encore par le Premier ministre : « C’est à l’étude. […] Nous avons des normes réglementaires à respecter. » Mais quelles normes ? Curieusement, elles n’embarrassent ni les Allemands, ni les Belges, ni les Espagnols qui mobilisent d’ores et déjà toutes les ressources disponibles, y compris leurs laboratoires vétérinaires. Mais en France, depuis une loi du 30 mai 2013, les laboratoires de biologie médicale vétérinaire n’ont plus le droit de traiter le moindre prélèvement issu d’un corps humain, et inversement. Si bien qu’à ce jour, seul le laboratoire départemental des Bouches-du-Rhône réaliserait des tests Covid-19… Parce qu’il compte dans ses effectifs un médecin biologiste, habilité à traiter des échantillons que les vétérinaires biologistes ne peuvent pas toucher. « C’est absurde. Il n’y a que l’homme pour se considérer comme non-mammifère », s’étrangle Jean-Louis Hunault. « Un virus est un virus, quel que soit le corps où il se loge. » Mais pour autoriser les vétérinaires à traiter des échantillons humains (ce que d’autres pays font sans problème), il faudrait modifier la règle. Et vérifier, bien sûr, la validité des tests. « Concrètement, nous en sommes là. Nos tests existent. L’Institut Pasteur doit les homologuer, et nous les rectifierons au besoin. Dès l’homologation reçue, et si le gouvernement donne son feu vert, nous pouvons déclencher la production de tests, disponibles sous 15 jours. Mais tant que nous n’avons pas ce feu vert, nous ne pouvons rien faire… »
Et chaque jour qui passe, les possibilités d’actions se réduisent. « Il y a deux semaines, nous avions des stocks de produits d’extractions de l’ARN (l’un des réactifs indispensables aux tests, NDLR). Mais faute de consigne claire du gouvernement, nous n’avons pas pu les conserver pour nos clients habituels », confie au Point un dirigeant d’Idvet, fabricant de réactifs de diagnostics pour la détection de maladies infectieuses. Chaque jour qui passe, ces stocks s’écoulent donc lentement. « Nous les avons vendus à ceux qui en ont fait la demande, en Allemagne notamment. C’est incompréhensible… »
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Trois semaines perdues
La pression des fantassins du terrain pour des conditions de travail dignes se fait tellement intense que de nombreux élus, ces derniers jours, sont montés au créneau. Le président de l’Association des départements de France Dominique Bussereau, celui des députés LR à l’Assemblée, Bruno Retailleau, en ont parlé, ce jeudi matin, au Premier ministre Édouard Philippe. Jusqu’au président du Sénat Gérard Larcher.
Révolution permanente
Une gestion erratique
Scandale. Le gouvernement refuse l’aide d’un cabinet vétérinaire capable de réaliser 1000 tests par jours
Alors que le gouvernement tergiverse, l’épidémie continue de faire des morts et les mesures nécessaires à sa prise en charge ne sont pas prises notamment en termes de matériel et sur la question des tests, qui ont fait leur preuve notamment en Corée du Sud. En Indre et Loire un laboratoire vétérinaire s’est vu refusé son aide dans la production de test, une décision qui parait contradictoire au vu du manque de moyens et des difficultés auxquelles font face les soignants.
samedi 28 mars
Crédits photo : AFP
Le gouvernement continue de ne pas déployer les moyens nécessaires contre le Coronavirus
Décidément, difficile de comprendre la doctrine du gouvernement en termes de tests. Après avoir nié leur utilité malgré les avis des experts et les résultats dans les pays qui ont mené des campagnes massives de dépistage, Olivier Véran semblait avoir décidé une augmentation du nombre de tests il y a quelques jours allant même jusqu’à dire vouloir que la France soit à la pointe du domaine et à affirmer : « nous n’allons pas augmenter mais multiplier, démultiplier le nombre de tests sur le territoire ». À Mulhouse, où il était en déplacement pour visiter la région la plus touchée et faire son allocution, Emmanuel Macron promettait de son coté 29 000 tests pour les soignants et dans les EHPAD dans de brefs délais.
Mais, alors qu’un cabinet vétérinaire envoyait une lettre au gouvernement pour proposer de fabriquer 1000 tests, celui-ci s’est vu refuser son aide sous prétexte d’« un argument juridique ». Le laboratoire vétérinaire expliquait ainsi dans la lettre par laquelle il a répondu au gouvernement : « En temps de guerre sanitaire, il nous faut réorienter d’urgence et dans l’intérêt général l’appareil productif des tests […] à cet égard […] notre laboratoire vétérinaire et de biologie Inovalys dispose des équipes, des compétences et des matériels pour effectuer des analyses de biologie moléculaire (PCR) en grande quantité de l’ordre de 1 000 tests COVID-19 par jour ». Les tests PCR étant ceux dont le gouvernement disait vouloir voir la production massive.
Le gouvernement a ainsi refusé cette aide, comme il le fait pour les cliniques privées qui appellent à être réquisitionnées, sous prétexte que le cadre réglementaire est différent « entre médecine humaine et médecine animale ». Une nouvelle démonstration – s’il en fallait encore – des contradictions notoires dans le discours du gouvernement, qu’on voit apparaître ici du point de vue de l’absurdité d’un système administratif et juridique bureaucratique qui est totalement incapable de s’adapter à des situations aussi inédites et graves que celle-ci.
Réorganiser l’économie et la production pour résoudre la crise, c’est possible
Plus largement, les incohérences sur la question du matériel et notamment des tests sont de plus en plus visibles ; les choix des gouvernements étant totalement subordonnés à la fois à leur stratégie politique et aux intérêts capitalistes. Ainsi, ces dernières semaines, on a pu voir Airbus proposer des masques, LVMH du gel hydroalcoolique et Amazon des tests. Preuve s’il en est que l’économie et la production pourraient bien être réorganisées vers la résolution de la crise et reprise en main pour l’intérêt commun. Mais il ne suffira pas d’attendre quelques capitalistes philanthropes qui selon leur bonne volonté pourraient reconvertir leur production : il nous faut des moyens en urgence, pour les soignants et toute la population, et ça, ce sera possible en réquisitionnant toutes les entreprises pharmaceutiques, cliniques privées capables de produire des tests et du matériel au plus vite.
De fait, en même temps que les livreurs sont forcés à continuer de travailler en pleine épidémie, et même qu’Amazon embauche pour se faire du profit sur le dos de la crise, ce dernier propose de livrer 3,5 millions de tests à domicile au Royaume Uni. Derrière une mesure au vernis altruiste, c’est un moyen pour l’entreprise de se donner une bonne image et de continuer son « buisiness as usual » pendant la crise et surtout de s’assurer une sortie de crise le plus vite possible pour reprendre ses activités.
Aujourd’hui, comme l’ont montré les différents pays où des campagnes de tests massives ont été organisées, comme en Allemagne où le nombre de morts est bien moindre, notamment grâce à un nouveau type de test ultra rapide, il est urgent de réclamer des tests gratuits et dès les premiers soupçons de maladie. Le confinement seul sans prise en charge ne pourra rien régler et il est nécessaire de tout faire pour neutraliser les foyers de contamination et garantir la prévention afin d’éviter une propagation à l’italienne ou à l’espagnole, où le nombre de morts ne fait que passer des records dramatiques.
Ainsi, alors que seule la possibilité de remettre en route l’économie au plus vite et les profits dirigent les décisions des gouvernements et des entreprises, nous ne pouvons leur faire confiance pour résoudre la crise. Aujourd’hui, tous les laboratoires de santé mais aussi les hôpitaux doivent être remis sous contrôle de commissions auto-organisées de travailleurs du soin et les entreprises doivent fermer sauf si elles sont essentielles à résoudre la crise ou si leur activité est réorientée dans cette direction. La seule manière de s’en assurer, c’est que les travailleurs reprennent en main leur lieu de travail et organisent eux-mêmes la production, eux qui sont les seuls dont l’intérêt est le bien commun.
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