Où va l’argent des pauvres?

MEDIAPART

Le sociologue Denis Colombi démonte dans un livre passionnant notre regard volontiers moralisateur ou critique sur les dépenses des classes les moins aisées. Il démontre que la façon de gérer cet argent ne manque pas de rationalité.

Il y a eu « l’écran plat », il y a désormais les « baskets de marque » ou « l’iPhone 11 ». Des objets en trop, toujours en trop, parce qu’ils appartiennent à des pauvres. Le regard collectif sur la façon dont les classes les moins aisées de la population dépensent leur argent est volontiers critique, voire moralisateur.

On se moque des « émeutes du Nutella » de 2018, on regarde sévèrement les dépenses d’habillement ou en cigarettes, on déclare son incompréhension devant des priorités apparentes. Qui, si elles paraissent irrationnelles, ont pourtant largement leur part de rationalité.

« Viéo non-disponible »

© Mediapart

Souligner et expliquer cette rationalité, c’est tout le mérite du récent, et passionnant, livre de Denis Colombi, sociologue et professeur de lycée, Où va l’argent des pauvres (éd. Payot, 352 pages, 21 euros).

Auteur du blog Une heure de peine, Denis Colombi a commencé à explorer cette question dans une note de l’été 2017, où il décrivait notamment le cas de Larraine, une habitante de Milwaukee, suivie de près par le sociologue Matthew Desmond dans son livre Avis d’expulsion. Larraine avait par exemple dépensé en une fois la quasi-totalité de ses bons alimentaires, pour un festin de fruits de mer. Totalement illogique ? Au contraire.

Le sociologue américain remonte les raisons de ce type de dépense, et aboutit à la conclusion que Larraine n’est pas pauvre parce qu’elle jette son argent par les fenêtres. « L’inverse est beaucoup plus vrai : Larraine jette son argent par la fenêtre parce qu’elle est pauvre. » Des conclusions de ce type, et les explications qui les soutiennent, parsèment le livre de Denis Colombi, qui s’appuie sur de très nombreux travaux sociologiques.

L’ouvrage souligne à quel point les classes moyennes ou supérieures pensent qu’appliquer leurs propres stratégies de gestion de l’argent leur permettrait de mieux s’en sortir que les pauvres dans leur situation, ce qui est faux ; il décrit le regard moral que nous jetons sur l’argent et son utilisation ; et il martèle une idée qui est paradoxalement refusée dans le débat public : pour que les pauvres ne le soient plus, la solution la plus efficace est de… leur donner de l’argent.

Quelques idées-forces qu’il est urgent de faire circuler à l’heure où le gouvernement travaille à une grande réforme des minima sociaux. « Où va l’argent des pauvres ? Il est dépensé d’une manière tout à fait normale et rationnelle pour les pauvres. Oui, ceux-ci ont parfois des façons de l’utiliser qui s’écartent de ce qui est perçu comme une saine gestion dans les autres classes sociales, mais un budget serré impose des modes de consommation et de dépenses spécifiques, écrit Denis Colombi. Les pauvres doivent faire preuve de plus de contrôle, de plus de travail et de plus d’intelligence que la moyenne pour parvenir à gérer la contrainte. Eh oui ! Parfois, ils font des dépenses inconsidérées et déraisonnables, ils font des erreurs, se trompent, sont irraisonnés ou capricieux, comme tout le monde, mais avec des conséquences considérablement plus lourdes. » Un livre essentiel.

Cette émission est également disponible en podcast (à retrouver ici).


 

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