Lettre à celles et ceux qui n’ont pas encore compris

Le gouvernement n’est plus dans une « dérive » autoritaire : il est en plein dedans. Il est donc grand temps pour les autres citoyens de ce pays de se réveiller : la lutte qui commence aujourd’hui n’est pas celle des « gilets jaunes », elle doit être celle de tous, avec ou sans gilet. C’est la démocratie elle-même, celle d’une république sociale et solidaire, qu’il s’agit de reconstruire.

Pour commencer, une petite anecdote personnelle : le lendemain de ma garde à vue, après avoir été arrêté lors de l’acte XIX, j’appelle ma mère, afin de lui signaler qu’elle va bientôt recevoir ma convocation au commissariat (je n’ai pas d’adresse fixe sur Nice). La connaissant, je ne m’attendais pas à une réaction très enthousiaste, mais j’ai eu droit à bien pire : en gros, elle me dit que quelle idée d’aller à une manifestation interdite, que interdit c’est interdit et que c’est comme ça, et que tout de même en France on a pas trop à se plaindre et qu’il faut arrêter les bêtises. Je lui raccroche tendrement au nez.

Et aujourd’hui, je m’interroge. Nombreux sont ceux, également, à ma grande stupéfaction, qui, par exemple, n’ont pas été émus outre mesure par le sort de Geneviève, cette dame de 73 ans qui, malgré la tentative de piteux mensonges de Macron et de Prêtre, a effectivement été poussée par un policier lors de la manifestation. Nombreux sont ceux qui pensent encore que la situation actuelle n’a rien de préoccupant.

Et nombreux sont celles et ceux qui croient encore vivre en démocratie. Et à tou-te-s celles et ceux là, j’ai envie de demander : quand est-ce que vous comptez vous réveiller ?

Nous connaissons tous l’exemple de la grenouille qui se laisse ébouillanter tant que la température de l’eau monte degré par degré, mais, dans votre cas, et j’en suis navré, j’ai la triste impression que même balancées directement en plein cœur d’un poêle à mazout poussé à plein régime, les petites grenouilles que vous êtes continueraient à croasser que tout va bien et qu’on a pas à se plaindre ma bonne dame.

Le lendemain de son arrestation, voici ce que Rosanna Lendom, avocate d’un pote de pote raflé avec moi à Garibaldi, a pourtant écrit sur Facebook : « J’ai vécu dans des pays en guerre civile, occupés par des armées étrangères, et dans des pays de dictature. J’ai de plus en plus de difficultés à percevoir ce qui nous distingue en France. Je peux vous dire que vu la manière dont magistrats, policiers, et donneurs d’ordre se sont affranchis des dispositions du code de procédure pénale dans le cadre de la répression des manifestants à Nice, nous sommes clairement sortis de l’état de droit. Nous en sommes au fichage des citoyens. Nous ne sommes plus à un point de bascule. Nous avons basculé. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Ce matin, j’en ai pleuré » (mes fabuleux amis de Télé Chez Moi lui ont consacré cette superbe vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=k_0WKFdVbkg&t=164s&fbclid=IwAR1OBNFm3al0V1rU5o5WO1SfutMDcVSYMGEG1-oIL2W78PBuD02q_a5B0Kg)

Cher-e-s camarade qui demeurez encore de l’autre côté de la barricade en nous regardant avec hauteur et mépris, il n’est donc plus question aujourd’hui de se demander si l’on soutient ou pas les revendications des gilets jaunes, et si tel point programmatique nous parait ou non valable. Comme je le disais en conclusion de mon dernier billet, c’est désormais la démocratie elle-même, celle d’une république sociale et solidaire, qu’il s’agit de reconstruire.

Le problème n’est pas, n’est plus, que Macron mène une politique de droite (voire, dans le cas par exemple du traitement réservé aux demandeurs d’asile, d’extrême-droite). Qu’il désintègre les droits des travailleurs, qu’il pulvérise les minimas sociaux et flique les bénéficiaires de ces minimas, qu’il atomise les services publics, accorde tout aux classes dominantes et aux multinationales pollueuses et fraudeuses, bref qu’il concrétise les rêves les plus fous de Margaret Tchatcher est évidemment un problème, mais pas celui dont je parle aujourd’hui. Après tout, il est vrai que Macron n’a pas été élu (par 10% de la population et par la grâce d’une propagande médiatique aux forceps, il est toujours bon de le rappeler tant il aime s’enorgueillir de sa « légitimité » électorale) sur un programme anarcho-collectiviste.

Soyons extrêmement bienveillant, et consentons à passer également sur l’incroyable feuilleton télé-novelesque de la saga Benalla, qui nous a prouvé par le menu le degré de népotisme qui règne au sein des plus hautes instances –comme je suis un brave garçon, je ferai semblant, et contre l’évidence des faits, d’y voir une dérive individuelle, même si cette histoire en son entier est proprement hallucinante et révèle le caractère puissamment autocratique de la Macronie.

Laissons tout ceci de côté. Et admettons même que ma parole de petit émeutier anarchiste soit sujette à caution.  Laissons parler les faits.

Samedi dernier, l’armée, avec les militaires de la mission antiterroriste Sentinelle, a été mobilisée de manière « renforcée » contre des manifestants désarmés. Il avait été décidé d’interdire les manifestations de gilets jaunes « à chaque fois qu’il le faudra » -donc, partout dans le pays. Les policiers et gendarmes furent fondés à interpeller arbitrairement toute personne présente sur les lieux visés par une interdiction. Des drones de surveillance ont été utilisés. Il a été préconisé aux forces de l’ordre de faire un usage accru des LBD, malgré les mises en garde de l’ONU et de l’UE à ce sujet. Sans oublier : peinture marquante destinée à traquer les « émeutiers », incitation faite aux forces de l’ordre à « aller au contact » … En bref, un petit goût de septembre 73 au Chili.

Côté répression, une répression qui concerne, je le rappelle, un mouvement très majoritairement pacifique (et dont les violences ne concernent, il est également crucial de le rappeler, que du mobilier urbain), les compteurs sont au rouge : ce dimanche 24 mars, Nicole Belloubet a annoncé que depuis le 17 novembre, plus de 8700 personnes avaient été placées en garde à vue, et que 2000 personnes avaient été condamnées. « Sur les 2.000 [condamnations], le chiffre qu’il convient de retenir, c’est que 40% sont des peines d’emprisonnement ferme et 60% sont d’autres types de sanction, par exemple des travaux d’intérêt général, des sursis, etc… ». Et ce malgré des dossiers d’inculpation souvent dramatiquement vides, ainsi que de très nombreux avocats l’ont souligné.

Et ceci s’inscrit dans un contexte législatif répressif global. Serge Slama, maître de conférences en droit, dans un entretien du 8 juin 2017 avec Louise Fessard pour Mediapart : « Macron [rend] permanentes les mesures les plus liberticides de l’état d’urgenceCe faisant, le gouvernement d’Édouard Philippe est en train de franchir un pas que les précédents gouvernements Valls et Cazeneuve n’avaient pas osé franchir […] Désormais, le gouvernement veut inscrire dans le droit commun les deux mesures phares de l’état d’urgence : les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Il généralise aussi les possibilités d’assignation à résidence sous surveillance électronique […], d’exploitation des données électroniques contenues dans les appareils saisis lors de ces perquisitions, sous la seule autorisation du juge administratif […] ainsi que la possibilité de surveillance de masse des communications hertziennes, pourtant censurée par le Conseil constitutionnel en octobre 2016 […] Une telle atteinte à la séparation des pouvoirs et au principe même de l’habeas corpus serait inimaginable dans la quasi-totalité des démocraties ». Est-il besoin de préciser que parmi les citoyens visés par ces mesures liberticides, bon nombre, voire la plupart, ne sont pas des djihadistes ?

Mais encore ceci ne concerne-t-il que la répression juridique. Pour le reste, le plus simple reste évidemment la répression à la Pasqua, bête et méchante, et le moins que l’on puisse dire et que le gouvernement n’a pas fait les choses à moitié : depuis le début du mouvement on décompte, d’après le ministère de l’Intérieur, 1 900 blessés chez les manifestants, dont 94 blessés graves, et 69 victimes de tirs de LBD. Selon David Dufresne, journaliste spécialisé dans les violences policières, et le collectif Désarmons-les !, entre 2.000 et 3.000 personnes ont été blessées, dont 82 gravement, 152 personnes ont été blessées à la tête (nombre d’entre elles ayant été purement et simplement défigurées à vie), 17 ont été éborgnées et quatre ont eu la main arrachée par une grenade. Des médecins spécialistes des yeux ont surnommé notre président, dans une tribune, « Macron l’éborgneur ».

David Dufesne (entretien accordé à CQFD) : « Quand j’ai débuté le recensement des violences policières sur Twitter, je souhaitais simplement comprendre ce qui se passait. Je venais de découvrir le mouvement Gilets jaunes dans le Tarn, où j’étais allé de rond-point en rond-point, et les images de répression qui me parvenaient d’ailleurs me semblaient assez effarantes. D’autant qu’elles suscitaient chez journalistes et politiques une attitude de pur déni […] Jamais je n’aurais pu imaginer une telle masse de blessés, de non-respect des règles les plus basiques du maintien de l’ordre, de provocations. Ce qui se passe est absolument ahurissant pour quelqu’un qui a travaillé sur le maintien de l’ordre français et connaît son histoire. Des manquements graves à une telle échelle, c’est inouï […]. Avant tout, je veux savoir pourquoi il y a eu tous ces blessés et mutilés. Pourquoi on traîne une dame par les cheveux sur quarante mètres. Pourquoi on tire au flash-ball en pleine figure. Pourquoi on éborgne des gens qui ne faisaient que manifester. Pourquoi ces terribles images de gamins matés à Mantes-la-Jolie, sans que cela n’émeuve véritablement au-delà d’un tweet indigné. Je suis tout bonnement sidéré par ces images et ces témoignages »

Et tout ceci, plus deux ou trois autres choses (une loi « asile et immigration » qui ne respecte pas le droit d’asile, une loi sur les « fake news » qui porte atteinte gravement, selon de nombreux juristes, à la liberté d’expression), a fait réagir l’ONU elle-même, pourtant peu suspecte d’être noyautée par les gauchistes (à moins de vivre dans la tête d’un député ou ministre LREM qui voit des chavistes partout). Trois experts onusiens, Seong-Phil Hong, rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire, Michel Forst, rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, et Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial pour les droits de réunion et d’association, ont ainsi écrit, dans un communiqué récent : « Depuis le début du mouvement de contestation en novembre 2018, nous avons reçu des allégations graves d’usage excessif de la force ».

Dans ce même communiqué, nos experts concluent, parlant de la loi dite « anti-casseurs », en affirmant que celle-ci vise « prétendument à prévenir les violences lors de manifestations et à sanctionner leurs auteurs », mais « certaines dispositions ne seraient, pas conformes avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel la France est partie ». Ainsi, « la proposition d’interdiction administrative de manifester, l’établissement de mesures de contrôle supplémentaires et l’imposition de lourdes sanctions constituent de sévères restrictions à la liberté de manifester. Ces dispositions pourraient être appliquées de manière arbitraire et conduire à des dérives extrêmement graves ».

L’Union Européenne n’est pas en reste. Elle a en effet il y a peu adopté, à une très large majorité de 438 voix pour et 78, une résolution « sur le droit à manifester pacifiquement et l’usage proportionné de la force ». Alors, certes, des esprits chagrins diront que la France n’y est pas visée de manière explicite, mais les observateurs des débats préalables ont bien relevé que c’était notre pays qui était au cœur de la question, et que c’est bien lui qui est pris à partie par le parlement européen quand celui-ci « demande aux États membres de respecter le droit à la liberté de réunion pacifique » et condamne « les recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et manifestations pacifiques » ainsi que « l’adoption de lois qui restreignent la liberté de réunion dans plusieurs États membres ces dernières années » Nous voilà donc mis dans le même bain puant que la Hongrie d’Orban… Une première version de ce texte condamnait aussi directement l’usage des « armes à létalité réduite »comme le LBD.

Voilà les faits. Voilà, mesdames et monsieur, le pays dans lequel vous vivez : une république qui s’est affranchie, principalement à l’occasion d’un mouvement social important, majoritairement pacifique et aux revendications généreuses et puissamment démocratiques, des règles les plus élémentaires du droit.

Nous ne sommes plus en démocratie. Est-ce que vous l’avez bien compris, maintenant ?

Je regarde le mur du salon de l’appartement dans lequel j’habite en ce moment. Sur un pan, à la craie rouge, un pote a écrit : « Si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes bien seul-e-s ». C’est bien vrai.

Il est écrit aussi, plus loin : « Soyons passages ». C’est bien vrai aussi. Alors, mélangeons les deux : tous ensemble, soyons passages pour ne plus jamais être seuls.

Comme l’a fait Geneviève, comme l’ont fait et le feront encore bien d’autres, avec ou sans gilet, bravons tous l’interdit pour aller défendre, en paix, les valeurs démocratiques que cet État a reniées.

Vous tous, qui n’avez pas encore compris, vous ne pouvez plus faire comme si vous ne saviez pas. Alors, rejoignez-nous, et prenons la rue.

Réveillez-vous, il est plus que temps…

Salut & fraternité,

M.D.


La guerre est déclarée

J’en vois venir certains … Tu exagères, Gavroche, vraiment. Le fascisme ? Nan, quand même pas… Ah oui ? Peut-être. Peut-être pas.

Une infirmière pour 30 malades, tout baigne,

Un prof pour 40 gamins, ça va

Une maternité par département, c’est OK

550 euros de RSA, c’est parfait,

… mais 80 000 robocops face à « des manifestations qui s’essoufflent », ça ne suffit pas.

Vlatipa qu’on va nous envoyer la troupe ?

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Des gens censés (sans déconner?) nous protéger des terroristes, musulmans, évidemment (les autres, ceux d’extrême-droite étant seulement qualifiés de « tireurs » ou de « fous »)

Une armée de professionnels, et non plus de « soldats-citoyens ».

A la place, ils vont protéger l’arc de triomphe

ils vont protéger Macron et ses sbires

ils vont protéger les boutiques de luxe des Champs Élysées, et les beaux quartiers parisiens.

Moi, ça m’a rappelé des trucs :

– le 12 Janvier 1789, l’armée protège le roi et charge les Parisiens aux Tuileries

– en mai 1795, le général Bonaparte fait tirer sur la foule.

– en 1848 , l’armée tire sur le peuple : 4000 morts.

– en mai 1871, l’armée écrase la Commune de Paris : 20 000 morts.

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– en 1891 l’armée tire sur les ouvriers grévistes (dont plusieurs enfants) de Fourmies dans le Nord.- en 1900, elle tire sur les ouvriers à Draveil.

– en 1907, elle tire sur les viticulteurs à Narbonne.

– en 1908, elle tire sur les ouvriers à Villeneuve Saint-Georges.

– En novembre 1947, à la suite de la grève très dure des mineurs, le socialiste (oui, déjà) Jules Moch, ministre de l’Intérieur réclame une « riposte énergique » et demande aux préfets « de prendre toutes les mesures de police utiles pour faire procéder à l’évacuation des locaux illégalement occupés… ». Le 29 novembre, l’assemblée nationale (des godillots oui, déjà) approuve le rappel des réservistes et l’aggravation des peines en cas de « délit d’entrave », mais pour la bonne cause, déjà : « pour la défense de la république et la liberté du travail »…

– En octobre 1948, le même Jules Moch envoie l’armée contre les mineurs. Le préfet du Pas-de-Calais prend des arrêtés d’interdiction de toutes les réunions, « attroupements », et « manifestations subversives », les installations minières sont gardées par l’armée, c’est à dire par 35 000 hommes lourdement équipés. Plusieurs mineurs sont tués.

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Et comment on justifie cette répression ? Simple, et toujours d’actualité : la mobilisation est qualifiée d’ « insurrectionnelle », présentée comme attentatoire « à la république », l’intervention de l’armée devenant une mesure incontournable en raison des « violences » exercées à l’encontre des forces de police et pour empêcher la paralysie économique du pays.

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Dans la foulée, la répression continue : 1 300 mineurs sont condamnés à des peines de prison ferme, pour des motifs divers : violences contre les forces de l’ordre, atteinte à la liberté du travail, participation à des réunions ou manifestations interdites, port d’armes, destruction de monuments, refus de réquisition, outrage, rébellion, vol, incitation au crime etc. Les magistrats qui les jugent ont, le plus souvent, prêté serment au maréchal Pétain sous le régime de Vichy, et certains mineurs ont comparu devant des juges qui les avaient déjà condamnés en tant que résistants …

Même la solidarité est condamnée : l’argent collecté pour aider les 3 000 mineurs licenciés est assimilé à de la fausse monnaie par le gouvernement, et des poursuites sont engagées …

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– en mai 1968, plusieurs régiments de blindés sont placés en état d’alerte. De Gaulle file à Baden-Baden pour appeler à l’aide son copain Massu. Un ministre déclare : « l’armée est le dernier rempart de la démocratie »…

A cette époque, le gouvernement n’avait pas osé. De Gaulle a démissionné à la suite du référendum d’avril 1969.

Mais Macron, lui, est un président « moderne »…

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