Les gilets jaunes et leurs soutiens n’en finissent plus de payer durement devant les tribunaux leur engagement. Ian, membre du collectif Désarmons-les, interpellé en septembre 2019 pour rébellion et outrage à Montpellier, vient de se voir infliger une peine de prison ferme. Son récit et ceux des témoins racontent, vidéo à l’appui, une tout autre version et révèlent plutôt un acharnement judiciaire.
Huit mois de prison ferme pour avoir protesté contre des violences policières ? Le tribunal correctionnel de Montpellier, vient de condamner, ce 3 décembre, Ian, un membre du collectif Désarmons-les, à cette peine de réclusion suite à son interpellation par des policiers, lors de l’Acte 46 des Gilets jaunes en septembre 2019. Motif ? Violence et outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique et délit de groupement en vue de commettre des violences ou dégradations. « Je me sens comme quelqu’un qui a pris un coup de massue, une torgnole ! », commente Ian à Basta !. Le policier l’accuse de lui avoir porté des coups de pieds et poings puis de l’avoir insulté par les termes fleuris suivants : « Vous êtes les putes à Macron ». L’intéressé livre un tout autre récit de son arrestation que celui avancé par les autorités. Dans un communiqué, le collectif Désarmons-les, qui documente « les violences d’État » dénonce une sentence « basée sur un faux en écriture publique réalisé par un agent des compagnies départementales d’intervention (CDI) ».
« On est loin de l’outrage »
Il est environ 17 h ce 28 septembre 2019 quand le cortège tente de rentrer dans le centre commercial Polygone, à Montpellier. Ian profite de sa venue à une rencontre-débat sur les armements et l’histoire du maintien de l’ordre pour participer à la manifestation locale des gilets jaunes. Tout se passe dans une ambiance « bon enfant » quand, soudain, surgit une équipe des compagnies départementales d’intervention. Les policiers gazent, matraquent et frappent avec leurs boucliers la foule présente.
Selon son récit, Ian apostrophe alors les forces de l’ordre : « Vous ne savez même pas qui vous avez pris, vous avez choppé quelqu’un au hasard, vous êtes des minables. Vous attrapez comme ça, vous ne savez rien. » « Vas-y tu te calmes ! », lance-t-il à celui qui frappe avec son bouclier [1]. « En droit, on est très loin de l’outrage. » L’outrage couvre les « paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public ». S’il vise une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende » [2]
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La scène est filmée par les observateurs de la Ligue des droits de l’homme (LDH) présents sur place. Ils sont repoussés à coups de bouclier par les agents. Cette affaire fait d’ailleurs l’objet d’une plainte auprès de l’IGPN, déposée par l’observatrice ayant subi des violences de ce même policier [3]. C’est alors que Ian « repousse du plat de la main un nouveau coup de bouclier lancé en leur direction, avant de m’écarter », témoigne-t-elle, pour aider les membres de la LDH, « en difficulté ».
Un passage compliqué au commissariat
Quelques minutes plus tard, Ian est alors arrêté sans ménagement. Une prise de rugby, chute dans un bac à fleurs, étranglement avec le col du tee-shirt, écrasement au sol par la botte du policier, bras tordu, poignets entravés par les menottes. Lunettes et téléphone portable brisés. « Tu fermes ta gueule maintenant, hein ? », aurait intimé l’agent selon le récit fait par l’interpellé. Au commissariat, les agents de garde semblent étonnés par ces nouvelles arrestations. « Qu’est-ce qu’ils nous ramènent ? Ils les ont tous tapés ou quoi, ils sont tout amochés. »
La découverte par un gardien de la paix, dans la sacoche de l’interpellé, d’un reste de grenade lacrymogène percutée, utile à son travail de documentation sur les forces de l’ordre, donne une nouvelle tournure à l’affaire. La présence de son nom dans le fichier des personnes recherchées n’arrange pas non plus son cas. Ian est alors accusé de « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». La facture juridique devient encore plus salée avec un « refus de se soumettre à un prélèvement biologique », à savoir la prise de son ADN pour but de fichage.
Ian nie ces accusations. Le policier censé avoir été violenté par le manifestant ne recevra aucune interruption de travail temporaire (ITT) délivrée par un médecin en cas de blessures. « Il est de notoriété publique qu’un bouclier vaguement effleuré de la paume d’une main ne souffre pas », raille l’accusé sur son site. Après 48 heures de garde à vue dans des conditions compliquées (décrites ici) et son passage devant un juge, Ian ressort finalement libre sous contrôle judiciaire jusqu’à la tenue de son procès.
Lors du procès, le mépris de la cour
Plus d’un an après les faits, le verdict est tombé au terme d’une audience qualifiée de « farce grotesque » par le prévenu et certains présents, une audience également marquée par un « déchaînement de violence et de mépris » de la part de la cour. « Malgré les évidences criantes, leur prisme d’analyse totalement binaire et manichéen les amène à considérer toute personne critique envers l’action des forces de l’ordre comme un parasite à écraser sous sa botte, à réduire au silence », détaille Désarmons-les dans son communiqué.
Visiblement énervée, la présidente du tribunal, coutumière de ce type d’emportements, estime que, ce jour-là, Ian a fait preuve d’une « violence inouïe contre les policiers ». Pourtant, les vidéos de la scène, que la cour aurait, sans motif apparent, refusé de visionner, invitent à la nuance.
Vidéo de la scène de l’arrestation publiée par le média indépendant héraultais La Mule du Pape
Pour justifier son propos, la juge a tout de même présenté de simples captures d’écran de vidéosurveillance et s’emporte : « Votre visage est déformé ! Regardez, là, et là, votre visage est déformé ! » La magistrate juge-t-elle des faits caractérisés ou les expressions grimacières du prévenu ? Après la présidente, c’est au tour du procureur de plaider tout en retenue : « Si Mohammed Merah se faisait interpeller par la police, vous le sauveriez aussi ? ». Implacable rhétorique de la part d’un magistrat. Ou comment comparer des défenseurs des libertés publiques – ici les observateurs de la LDH – à un assassin ayant abattu froidement sept personnes, dont trois enfants. Et comment transformer un manifestant en complice du terrorisme…
L’avocat général requiert alors cinq mois de réclusion. La juge a finalement alourdi la sentence à huit mois de prison et 600 euros de dommages et intérêts (dont 300 euros de frais d’avocat) à verser au policier. Cette condamnation s’inscrit dans la lignée du sévère traitement judiciaire subi par les gilets jaunes (lire notre recensement des peines). Bien qu’aménageable, la peine prononcée apparaît bien lourde au vu des faits reprochés. Soit « une paume de main sur un bouclier, un outrage non caractérisé », résument les soutiens du condamné.
Un acharnement judiciaire
La justice fait-elle payer à l’accusé son engagement ? « Ian subit un acharnement policier et judiciaire lié à son combat politique contre les violences d’État (…) », écrit Désarmons-les. En 2019, Ian avait déjà été arrêté au retour d’une conférence puis placé en garde à vue pour port d’arme prohibée. Il détenait des munition vides qui illustraient son exposé sur les armes utilisées contre les manifestants (Lire ici).
Actif au sein de ce collectif, lancé en 2012, le militant documente les armes et techniques du maintien de l’ordre des forces de sécurité. En coordination avec l’Assemblée des blessés, il apporte également soutien et accompagnement aux victimes de violences policières. Son travail de recensement des blessés et mutilés par les forces de l’ordre constitue une source incontournable et a été repris par plusieurs médias dont Basta ! durant le mouvement des gilets jaunes. Actuellement libre, Ian a fait appel de la décision.
Ludovic Simbille
En photo : lors de la manifestation parisienne du samedi 28 novembre contre la loi de sécurité globale et les violences policières / © Pedro Brito Da Fonseca
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