Ils sont trois fois plus nombreux qu’il y a vingt ans, selon l’Assurance maladie. Mais vu le temps de développement des cancers, cela renvoie à une histoire passée.
C’est une progression importante et régulière. Le nombre de cancers professionnels reconnus a plus que triplé en vingt ans, passant de 540 cas en 1998 à 1 940 cas en 2017, selon les dernières données dévoilées récemment par l’assurance maladie. Et ce chiffre pourrait ne représenter qu’un cinquième des cas, en raison notamment du nombre élevé de sous-déclarations. Prenant appui sur une étude de l’organisme Santé publique France, ces cancers liés à une exposition professionnelle seraient, en tout cas, à l’origine de «5 à 6% de tous les cancers» (1). La France étant avec l’Allemagne l’un des deux pays qui reconnaissent le plus de cancers professionnels en Europe.
Bref, ce n’est pas rien. Et en même temps, on peut avoir le sentiment d’une histoire passée. «Ces cancers sont un peu un regard dans le rétroviseur, ils reflètent ce qui s’est passé il y a trente ou quarante ans en termes d’exposition professionnelle car ce sont des pathologies à effet différé», a déclaré à l’AFP Marine Jeantet, directrice des Risques professionnels. Et de ce fait, l’assurance maladie met en parallèle ce chiffre avec les «plus de 50 000 maladies professionnelles» reconnues annuellement et associées en majorité à des troubles musculo-squelettiques, renvoyant à des pathologies beaucoup plus liées aux pratiques professionnelles actuelles.
Il n’empêche, ce retour vers le passé est éclairant. Aujourd’hui, on paye encore et toujours un lourd tribut aux méfaits passés de l’amiante. Parmi les cancers professionnels, 80% sont en effet à rapprocher à une exposition à l’amiante : 70% sont des cancers du poumon et 30% des mésothéliomes, le cancer de la plèvre surnommé «cancer de l’amiante». Pour les autres, il s’agit principalement de cancers de la vessie, naso-sinusiens et de leucémies. Les causes ? Hors amiante, c’est l’exposition aux poussières de bois, au benzène et aux goudrons, bitumes et asphaltes qui est à l’origine de la moitié des cas, note l’assurance maladie.
Ce qui est frappant, c’est à quel point les malades ont un profil marqué. «Tous types de cancers confondus, l’âge moyen des personnes touchées au moment de la reconnaissance en maladie professionnelle est de 68 ans : 73 ans en moyenne pour les cancers de l’amiante, 56 ans pour les cancers liés au benzène», note l’assurance maladie. A 96%, ce sont des hommes, et très majoritairement (80%) des ouvriers. Pour autant, «les hommes ne présentent pas les mêmes expositions au risque de cancers professionnels du fait de la spécificité de leurs emplois. A titre de comparaison, toutes causes de cancers confondues, les hommes représentent seulement 55% des cas dans la cartographie des cancers établie par Santé publique France», souligne l’étude.
Autre caractéristique, les cas se concentrent dans la moitié nord de la France, des régions industrielles où étaient implantées des activités concernées par l’utilisation passée de l’amiante. Plus généralement, et par secteur, la métallurgie compte le plus grand nombre de cas (39%). Viennent ensuite le BTP (24%) puis l’industrie chimique et le secteur du bois, 9% chacun.
Et aujourd’hui ?
La situation est frustrante. Beaucoup de cancers d’origine professionnelle ne sont pas déclarés, du fait notamment de la période de latence entre l’exposition et la survenue de la maladie (entre vingt et quarante ans), ou en raison des démarches à engager qui restent lourdes et lentes. Privant du même coup les victimes du versement d’une rente à titre de réparation.
Que faire ? L’assurance maladie se dit décidée à mieux «organiser la détection de l’origine potentiellement professionnelle d’un cancer à l’occasion de contrôles médicaux». La Sécu cite une expérimentation sur les cancers de la vessie qui a permis de multiplier par six ceux pris en charge par la branche entre 2008 et 2017 et de mettre en place une aide à la déclaration. Face aux cancers à venir, l’assurance maladie déploie également un programme de prévention des risques chimiques.
Si l’on prend l’exemple des produits phytosanitaires dans le milieu agricole, les inquiétudes sont là, bien réelles. La France étant la première consommatrice de produits en Europe, et cela depuis années. D’après une étude de 2010, plus de 25% des salariés agricoles déclarent avoir été exposés au moins une fois à ces produits. Mais cela suffit-il ? D’après un autre travail, on retrouve régulièrement l’émergence de deux cancers : le mélanome de la peau chez la femme et le myélome multiple chez l’homme. Mais il manque, là aussi, beaucoup de données.«Il est difficile de savoir, ajoute, prudente, la responsable de l’Assurance maladie, le type de cancers qui seront reconnus d’origine professionnelle dans trente ans, ainsi que le profil des salariés touchés».
D’une certaine manière, on est toujours en retard. Aujourd’hui, en tout cas la, prise en charge des cancers professionnels par la branche «risques professionnels» représente un coût annuel de 1,2 milliard d’euros pour les entreprises. Il s’agit principalement de rentes viagères, dont 80% sont versées aux ayants droit (essentiellement des conjoints survivants), avec un montant moyen d’environ 17 000 euros par an.
(1) «Cancers reconnus d’origine professionnelle: évolution statistique, action de prévention et d’accompagnement des salariés exposés» par l’assurance maladie.
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