Notre-Dame: un Téléthon des milliardaires totalement indécent

L’incendie n’était pas totalement éteint que les plus grandes fortunes du pays se livraient déjà à une inédite surenchère de dons mirobolants. La barre d’un milliard d’euros pourrait être dépassée ce mercredi. Ce Téléthon des milliardaires révèle l’indécence de milliardaires, plus enclins à vouloir accoler leur nom à la rénovation de Notre-Dame que payer leur juste part d’impôts.

Depuis 48 heures, l’empressement des milliardaires français à promettre des centaines de millions d’euros pour reconstruire Notre-Dame a frappé l’opinion publique : 200 millions € pour les Arnault et Bettencourt, 100 millions € du côté des Pinault et Total, tandis qu’on ne compte plus les annonces de quelques millions à quelques dizaines de millions d’euros (JCDecaux, Bouygues, BNP Paribas, BPCE, Société générale, Axa, Française des jeux, etc). Récemment condamné pour abus de biens sociaux dans l’une des affaires Fillon, le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière y est lui aussi allé de sa promesse de 10 millions d’euros.

Les milliardaires déversent une pluie d’argent qu’ils refusent de payer en impôts

Ces dons, promis par les multinationales, les fondations d’entreprise ou par les milliardaires eux-mêmes, seront défiscalisés à 60% (entreprise) ou à 66% (particuliers). Ils peuvent être étalés sur plusieurs années. Le directeur général de la collection d’oeuvres d’art de François Pinault, Jean-Jacques Aillagon, a même proposé qu’un taux de 90% soit appliqué. C’est sans doute cette suggestion hâtive qui a le plus choqué : Notre-Dame fumait encore qu’on quémandait déjà une ristourne fiscale majorée pouvant conduire à ce que l’essentiel de ces dons soient couverts par des exonérations d’impôts.

Défiscalisés, ces dons, vont en effet être en grande partie rétrocédés sous forme de réductions d’impôts : les contribuables vont donc, in fine, financer une grande partie des donations annoncées, pendant que les milliardaires et les multinationales pourront tranquillement s’adjuger le mérite d’avoir financé la restauration de la cathédrale. Par leur geste, ils vont accoler leur nom à la rénovation héroïque de ce bâtiment tout en essayant de faire croire qu’ils renflouent et soulagent l’Etat dans sa tâche, alors que ce sont justement les contribuables qui vont, dans un anonymat total, financer leur générosité.

Sans doute auront-ils même leurs noms et une plaqué dédiée sur le monument rénové afin de rendre grâce à leur extrême générosité. Et ce ne sera peut-être pas tout. Le mécénat d’entreprises va généralement de pair avec de nombreux avantages en nature (entrées gratuites, mise à disposition des lieux, opérations marketing, etc) dont ces milliardaires savent très bien s’accommoder, comme vient à nouveau de l’illustrer l’affaire Carlos Ghosn. Les exonérations fiscales liées au mécénat en France sont d’ailleurs de plus en plus critiquées, y compris par la Cour des comptes (voir cet article de l’Observatoire des multinationales).

Le mécénat d'entreprise dans le monde de la culture et du patrimoineLe mécénat d’entreprise dans le monde de la culture et du patrimoine

La polémique est telle que la famille Pinault vient de renoncer à utiliser sa réduction d’impôts. Espérons qu’elle soit en cela suivie par les autres milliardaires et multinationales avec autant de célérité que lorsque les Pinault ont ouvert le bal des promesses de dons et ce fabuleux Téléthon des milliardaires pour Notre-Dame. Pourtant la défiscalisation des dons n’est que la face émergée de l’iceberg.

Le scandale de l’évasion fiscale

Dans ce moment de stupeur et d’émotion nationales, milliardaires et multinationales se sont donc positionnés comme ceux qui pouvaient suppléer les pouvoirs publics. On parle ici de milliardaires et de multinationales qui sont pourtant de plus en plus régulièrement l’objet de soupçons d’évasion fiscale, quand il ne s’agit pas de poursuites. Ainsi le groupe Kering dirigé par François-Henri Pinault aurait soustrait 2,5 milliards d’impôts, et il est l’objet d’un redressement fiscal pour 1,4 milliards d’euros en Italie. Quant à LVMH, qui dispose de 234 filiales dans les paradis fiscaux, elle est citée, tout comme Bernard Arnaud, dans les Paradise Papers. La fondation Louis Vuitton est soupçonnée de fraude fiscale car elle aurait permis au groupe LVMH d’économiser 518 millions d’euros d’impôts dans des conditions contestées. D’autres exemples pourraient s’ajouter (notamment Total qui, en plus de l’évasion fiscale, contribue à rendre la planète invivable).

Par ces pratiques, ces grands groupes et milliardaires français grèvent les finances publiques et la capacité des pouvoirs publics à financer la restauration du patrimoine, mais également les services publics. Faut-il rappeler que les services de pompiers, si loués après leur action pour limiter les conséquences de l’incendie à Notre-Dame, ne cessent de multiplier les appels d’urgence pour dire combien les coupes budgétaires et les politiques d’austérité sont néfastes à leur travail et à la qualité de la protection qu’ils peuvent assurer ?

Par @FredSochardPar @FredSochard

C’est un peu comme si ces grandes fortunes, ravies d’avoir limité les capacités d’intervention des pouvoirs publics en se soustrayant à l’impôt, voulaient désormais s’y substituer pour montrer combien ils sont bons et généreux, et combien les accusations qui pèsent à leur encontre (ou leur groupe) sont injustifiées. Ne cherchent-ils pas en fait à acheter une indulgence pour leurs pratiques d’évasion fiscale ? L’incendie de Notre-Dame n’est-elle finalement pour eux qu’une opportunité incroyable pour s’offrir une rédemption à peu de frais ?

Voilà pourquoi ce Téléthon des milliardaires est indécent.

Voilà pourquoi il devrait cesser.

Voilà pourquoi ces mêmes milliardaires devraient a minima refuser d’obtenir de déductions fiscales.

Voilà pourquoi ces mêmes milliardaires devraient payer leur juste part d’impôts. Et TOUS leurs impôts.

Voilà pourquoi on devrait même imaginer instaurer un Impôt de Solidarité sur le Patrimoine.

Pour finir, constatons, ensemble, et une fois pour toutes, que la « pression fiscale », régulièrement dénoncée par la plupart de ces milliardaires, de leurs multinationales et de leurs relais dans l’opinion publique, n’a pas asséché leurs capacités à débloquer d’un claquement de doigt des montants astronomiques. « L’asphyxie fiscale », que le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux n’a pas manqué de dénoncer ce mercredi matin chez Jean-Jacques Bourdin, ne les a donc pas asphyxiés. Loin de là. Il est donc plus que temps de rendre notre système fiscal plus juste et que les milliardaires de ce pays paient, sans rien dire, leurs impôts, plutôt qu’annoncer en fanfare, parce qu’ils pratiquent l’évasion fiscale, des dons astronomiques dont nous devrons supporter une bonne partie du coût.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.

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