Cinq ans après la mort de Steve à Nantes, un commissaire de police devant la justice

Poursuivi pour homicide involontaire, le commissaire Grégoire Chassaing est jugé à partir de lundi devant le tribunal judiciaire de Rennes. C’est lui qui dirigeait l’opération lorsque Steve Maia Caniço, 24 ans, est mort en juin 2019, tombé dans la Loire.

David Perrotin

« On voudrait absolument que les responsables reconnaissent les faits et qu’ils assument », conjurait le frère de Steve Maia Caniço lorsque Mediapart l’avait interrogé un an après sa mort.

« Des responsables » ont bien été entendus depuis, mais un seul sera finalement jugé à partir de lundi et jusqu’au 14 juin devant le tribunal judiciaire de Rennes (Ille-et-Vilaine) : Grégoire Chassaing, 54 ans, le commissaire qui dirigeait l’opération de police. Il est renvoyé pour homicide involontaire, cinq ans après la mort de ce jeune animateur périscolaire de 24 ans, tombé dans la Loire dans la nuit du 21 au 22 juin 2019.

Sur le hangar du quai Wilson, un pochoir représente Steve Maia Caniço. © Elisa Perrigueur

Comme chaque année lors de la fête de la musique, plusieurs stands sont installés dans toute la ville. Dans le centre de Nantes, mais aussi sur le quai Wilson, une partie plus isolée en bord de Loire, des sound systems réunissent les teufeurs et crachent du son jusqu’à 4 heures du matin. C’est à cette heure que le commissaire de police décide de faire cesser la fête en demandant aux DJ d’éteindre la musique. Tous obéissent mais l’un rallume sa platine pour diffuser Porcherie, une chanson du groupe Bérurier noir, scandant dans ses paroles « la jeunesse emmerde le Front national ».

« Dès que nous avons tourné les talons, la musique a été remise par intermittence, l’un des DJ regardant dans ma direction avec un sourire provocateur. Puis la musique a été de nouveau diffusée à un niveau sonore très élevé, avec pour conséquence d’exciter davantage les teufeurs », affirme le commissaire lorsqu’il est interrogé par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Un commissaire qui a « envenimé » la situation

Il donne ensuite l’ordre à ses effectifs de s’équiper et de se casquer. Visées par des projectiles, les forces de l’ordre ripostent en saturant l’espace de gaz lacrymogène malgré la présence de la Loire à proximité. En seulement dix minutes, de 4 h 31 à 4 h 41, elles tirent trente-trois grenades lacrymogènes, dix grenades de désencerclement et font usage de leurs lanceurs de balles de défense (LBD) à douze reprises.

Lors de l’instruction, les juges Dominique Blanc et Guy Magnier estiment que ce « policier expérimenté, aguerri au maintien de l’ordre », a d’abord « cédé à la provocation » du DJ récalcitrant alors que « rien n’imposait » un horaire aussi précis, pour faire cesser la musique. « Plutôt que de calmer les choses, l’attitude du commissaire Chassaing va contribuer à sensiblement envenimer la situation », écrivent les magistrats, pour qui le policier aurait dû faire preuve de « patience »« temporiser » et tenter la « persuasion ».

Au lieu de ça, Grégoire Chassaing a préféré aller « au contact » avec ses effectifs et « en découdre avec les teufeurs présents pour les contraindre à éteindre le son et à quitter les lieux », sans se replier ni attendre les CRS appelés en renfort. Il a commis « un enchaînement de fautes », conclut l’ordonnance de renvoi.

L’enquête montre par ailleurs que les policiers étaient informés du risque de noyade puisque, dès 3 h 50, l’information d’une chute dans la Loire circulait sur les ondes radio. Trois personnes qui avaient chuté venaient d’être secourus. Selon les différentes expertises téléphoniques, l’instruction a permis d’établir que Steve Maia Caniço, lui, avait chuté dans l’eau à 4 h 33, alors qu’un nuage de gaz lacrymogène planait sur cette zone sans barriérage.

Au même moment, le commissaire Chassaing ordonnait à ses hommes d’interpeller un participant. Pour les juges, cet ordre, qui ne « s’imposait pas dans un tel contexte », a « réactivé la violence des teufeurs »« engendré un nouveau mouvement de foule », mais aussi « mis en danger les effectifs » de police, « en nette infériorité numérique ». Quatorze autres personnes tombées dans l’eau ce soir-là seront secourues par les pompiers.

Le corps de Steve retrouvé un mois après 

La note de service envoyée la veille, en amont des préparatifs de la fête de la musique, précisait pourtant que « sauf nécessité absolue, l’emploi des moyens lacrymogènes ne pourra[it] se faire que sur instruction expresse du directeur du service d’ordre ». Les magistrats instructeurs estiment que le directeur en question, Grégoire Chassaing, n’a donc pas « encadré » l’usage de ces armes, préférant laisser son usage « à l’appréciation de chacun des policiers présents ». Comme le révélait Mediapart, la CRS 4, intervenue sur les lieux vers 4 h 45, a au contraire refusé d’adopter un tel comportement et n’a fait usage d’aucune arme.

Grégoire Chassaing est ainsi renvoyé en correctionnel pour avoir, selon les juges, fait preuve d’un véritable « manque de discernement » alors qu’il aurait dû « adapter son comportement » aux tensions et aux risques encourus. Il a aussi ignoré l’instruction ministérielle du 21 avril 2017, relative au maintien de l’ordre, selon laquelle « tout doit être mis en œuvre par le responsable du dispositif pour tenter de résoudre les incidents de manière pacifique et privilégier la désescalade de la violence ». Comme l’a révélé Mediapart, lors de la fête de la musique 2017, quai Wilson, dans des circonstances similaires, les forces de l’ordre avaient d’ailleurs décidé « un repli tactique », se mettant à distance des jeunes, sans faire usage de la force.

Dans la foulée de cette fête de la musique, la famille et les amis du disparu se mobilisent pendant plus d’un mois pour demander « Où est Steve ? » et dénoncer le comportement de la police ce soir-là, alors défendue par le préfet de Loire-Atlantique, Claude d’Harcourt. Libération révèle aussi plusieurs vidéos de la charge policière contredisant le discours des autorités et montrant des jeunes alerter les policiers sur les risques de chute dans l’eau. Le corps du jeune homme sera finalement retrouvé fortuitement par le pilote d’une navette fluviale plus d’un mois après sa disparition, le 29 juillet 2019.

Le lendemain, le premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, dévoile les conclusions de l’enquête particulièrement bâclée conduite par l’IGPN. L’institution dédouane la police estimant « qu’à la lumière des faits connus lors de sa rédaction, il ne peut être établi de lien entre l’intervention des forces de police et la disparition de Steve Maia Caniço »« L’usage de la force, en riposte à des voies de faits perpétrées par une foule de personnes rassemblées sur un terrain public qui troublaient l’ordre public […], était justifié et n’est pas apparu disproportionné », peut-on lire dans leur rapport avant que le premier ministre ne saisisse finalement l’Inspection générale de l’administration (IGA).

Un préfet récompensé

Cette nouvelle enquête met cette fois-ci en cause les organisateurs, la police, mais aussi les autorités municipales et préfectorales. La ville et la préfecture « n’ont pas accordé une attention suffisante à la présence de sound system sur le quai Wilson » et n’ont pas installé de barrières sur ces quais, alors que cela avait été envisagé « dès 2008 ». Selon les conclusions de l’IGA, partagées par les juges d’instruction, les « décisions prises sur le terrain par le commissaire divisionnaire ont manqué de discernement. La vitesse de réaction l’a emporté sur l’analyse ».

« Tolérer l’installation de murs de son dans un lieu donnant directement accès au fleuve, sans aucune mesure de barriérage destinée à prévenir les chutes […] doit être regardé comme une faute. […] Chacune des autorités chargées des pouvoirs de police (mairie et préfecture) avait la possibilité d’agir et se sont abstenues de le faire en se contentant de répéter une organisation qui avait pourtant par le passé montré ses limites », écrivent les juges qui avaient aussi décidé la mise en examen de Johann Mougenot, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique au moment des faits.

Le parquet avait requis son renvoi devant le tribunal, au même titre que le commissaire Chassaing et le préfet Claude d’Harcourt. Mais le commissaire sera finalement seul au tribunal lundi puisque la mise en examen du préfet a été annulée par la chambre de l’instruction. Tous les autres protagonistes ont aussi bénéficié d’un non-lieu.

Pour Johann Mougenot, les magistrats ont estimé qu’il avait pris des mesures « normales et suffisantes » compte tenu de son statut et de son niveau d’information. La maire PS de Nantes, Johanna Rolland, a été dès le départ placée sous le statut de témoin assisté mais ne sera pas inquiétée. Un non-lieu a en effet été prononcé pour toutes les personnes qui étaient placées sous ce statut, Johanna Rolland donc, mais aussi Gilles Nicolas, qui était adjoint à la sécurité en 2019.

Louis Cailliez, l’avocat de Grégoire Chassaing, trouve cette décision « scandaleuse » et a prévenu qu’il tenterait de démontrer que la chute de Steve dans la Loire n’est pas liée à l’opération de police, son client n’étant qu’un « bouc émissaire ». Si le commissaire n’a reçu aucune sanction administrative, le ministre de l’intérieur de l’époque, Christophe Castaner, avait tout de même décidé de le muter « sur un emploi sans responsabilité de maintien de l’ordre dans l’attente des conclusions des enquêtes judiciaires ».

Avec l’arrivée de Gérald Darmanin Place Beauvau, Grégoire Chassaing a finalement été affecté en 2021 au poste de numéro deux de la sécurité publique à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Le préfet Claude d’Harcourt, lui, à la retraite désormais, a été promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en juillet 2021.

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