La « Justice » contre les Gilets Jaunes à Lyon

blog.tempscritiques.net le 11/02/2019

Justice Gilets Jaunes

S’en aller dans la galère des Gilets jaunes ? Eh quoi faire, de par tous les diables dans cette galère ? Oh ! Galère, galère, tu mets bien ma bourse aux galères.

(Détournement d’une réplique de Le pédant joué, de Cyrano de Bergerac 1654)

« Retirez vos mains de vos poches ! »

phrase prononcée à l’encontre d’un Gilet jaune de 60 ans par la jeune juge madame A !!

Au palais de justice, les lundis se succèdent mais les audiences sont de plus en plus caricaturales. Comment exercer la justice quand les peines ont été dictées en amont ? Quand on n’a pas de marge de manœuvre ? Et quand finalement : juge aux comparutions immédiates des gilets n’est qu’un travail alimentaire. Les juges J… et A… font le job sans plus. La plus jeune, quand un de ses assesseurs gère le dossier, repousse un peu sa chaise et se met à pianoter sur son mobile… comme une élève… c’est peut-être chiant les audiences mais elle dispose d’un droit de retrait.

Rappelons que ces dossiers instruits sur la base d’un seul document, un PV de police, c’est-à-dire d’une personne assermentée, sont considérés comme béton, incontestables ; dès lors il n’y a plus qu’à dérouler le tapis et jouer son rôle.

Ce lundi l’audience a commencé par une drôle de phrase de la juge qui s’adressait à la greffière sans la regarder : « j’aimerais quand même bien qu’on me donne un rôle aujourd’hui » (Le « rôle » est un document sur lequel le greffier porte la liste des affaires qui sont appelées à l’audience d’une Chambre du tribunal où il est affecté) : quel sens accorder ici au mot rôle ?

Les gilets jaunes ne sont jamais des personnes présumées innocentes. Dès lors qu’elles quittent la manifestation, par la force des policiers, elles sont jugées coupables : dans toutes les audiences auxquelles j’ai assisté depuis le début je n’ai jamais entendu dans un dossier un juge essayer d’établir l’innocence d’un GJ… et pour ne pas le faire tout ce que dit, le ou la prévenue, est considéré comme parole à charge. À une question de la juge ou de la procureure, la réponse non documentée, non argumentée, la réponse spontanée du GJ est immédiatement scrutée, disséquée, soupçonnée.

Des questions comme celles-ci : « pourquoi avait vous crié cette phrase ? », « Pourquoi êtes-vous venu manifester ? », « Pourquoi se promener avec un tel attirail : lunettes, casque, si on veut manifester pacifiquement ? », « Pourquoi n’êtes-vous pas parti lorsqu’on a donné l’ordre de dispersion ? », « pourquoi courriez-vous ? », « Pourquoi étiez-vous à cet endroit à ce moment précis ? »

–Je ne sais pas !! » la perplexité est considérée comme une marque de bêtise crasse, de manque de conscience, fait l’objet de moues de mépris, de regards entendus de la part de la juge, de la procureure. et de l’avocat des « policiers victimes »… effectivement le tribunal joue la solidarité, le mépris de classe.

–Je suis venu·e manifester parce que je défends… ». La juge a une moue de conviction qu’elle ponctue d’un « mouuuuais » discret mais très réel, éloquent et très fréquent : elle ne supporte plus les arguments des gilets jaunes, le rappel des raisons réelles qu’ils, qu’elles, que nous avons de manifester.

–Je prends des lunettes un masque et un casque pour me protéger des violences policières mais aussi parce qu’il arrive que des projectiles… ». Il y a quelques semaines la juge Mme J. a haussé bien haut les sourcils et le ton à l’énoncé de l’idée même de violence policière déclarant même : « dans ce tribunal nous n’avons jamais eu à traiter d’une plainte de Gilet jaune contre un policier… cesser de consulter les réseaux sociaux et You Tube ». Les protestations du public n’y font rien puisqu’elle a le pouvoir de faire vider la salle dès lors qu’on lui oppose de la résistance… violence judiciaire.

–Je n’ai pu partir car tout était bouché, il y avait des barrières nous empêchant de passer (GJ qui n’est pas lyonnais), je ne pouvais repartir en arrière…». « Quand on donne l’ordre de dispersion, vous devez partir. Le PV de contexte (écrit par les policiers) confirme que l’ordre de dispersion avait été donné. Pourquoi rester, expliquez-nous…». Si le GJ hésite à répéter encore et encore la même chose, il est réellement suspecté d’intentions… (Au passage je précise que ce gilet jaune est à deux ans de la retraite, fonctionnaire depuis plus de vingt ans dans une ville voisine). L’avocate a demandé pour lui la non-inscription de ses condamnations sur son casier judiciaire ; les juges n’ont pas tranché ce sera à lui de faire la demande : je rappelle que l’article du Canard Enchaîné d’il y a deux semaines témoignait de la demande du procureur de Paris d’inscrire tous les GJ qui passaient en comparutions immédiates, même pour rien, sur les casiers des GJ… on peut donc imaginer comment ce monsieur va galérer : la demande de loi d’amnistie ce n’est pas une vue de l’esprit c’est une urgence pour plein de GJ.

–Je courrais ? Ben oui dans une manif il y a des moments où on court, d’autres où on marche…». « Quand on manifeste pacifiquement on marche monsieur, quand on court c’est qu’on a l’intention d’échapper »… no comment.

–J’étais là parce que la manif était là !». Ou encore : « j’étais en train de quitter la manif » ou mieux encore : « je ne manifeste pas j’étais de passage ». Cette dernière réplique, qui n’est pas une réponse à un magistrat, je l’ai entendue, hier dans les couloirs du palais de justice, de la part d’une personne qui samedi avait été fauchée d’une balayette, menottée et gardée à vue jusqu’à dimanche matin alors que jusque-là elle se moquait complètement des GJ. Et d’ajouter : « et je peux te dire que quand ils m’ont jeté au sol, t’as vu ma corpulence j’ai pas bougé, j’ai rien fait je voulais sortir je ne voulais pas aller en GAV (garde à vue) je n’ai dit que la vérité je me baladais et c’était pas encore l’heure de vos manifs ». Et de conclure : « mais tu vois c’est intéressant ce qui se passe au tribunal, je suis venu pour voir parce que du coup je me suis dit : y’en a peut-être d’autres comme moi des innocents »

C’est un florilège de ce qu’on entend au tribunal mais quand même hier une question était systématiquement posée comme un soupçon de délit : « pourquoi ne portiez-vous pas de Gilet jaune quand on vous a arrêté ? » Sous la pression, après 48 heures de GAV, on n’est pas toujours réactif. Du coup la personne arrêtée à 13 h, avant les manifs et loin du lieu de rassemblement, n’a pas eu le réflexe de dire qu’elle n’était pas encore en manif et comme l’intelligence de la juge va toujours à l’accusation et à la suspicion, elle fait des sous-entendus : « vous le mettez et vous l’enlevez donc », « sans votre gilet vous êtes habillé en noir », et oui les petites fonctionnaires de Kafka sont de retour. Elles ne peuvent effectivement reprocher aux Gilets jaunes que d’exister, ils ne sont coupables de rien si ce n’est de porter un gilet jaune…

Je ne veux pas jouer les cuistres en citant Cyrano de Bergerac et Kafka, j’aurais pu aussi parodier La Fontaine « si ce n’est toi c’est donc un autre Gilet jaune ». Ici on n’est pas accusé pour ce que l’on a fait mais pour ce que l’on est. Par ces citations je veux juste rappeler qu’on a déjà vécu tout cela et que ça craint…

C’est une justice d’exception qui est à l’œuvre :

Parce que les procès, aux premiers jours d’audience, étaient systématiquement ouverts avec la lecture des PV de contexte qui faisaient exclusivement état d’un climat de violence des manifestants. Aujourd’hui ces procès, qui ont oublié les violences policières, servent de référence mais ne sont plus lus.

Parce qu’on ne délivre que des peines fermes à des gens sans antécédents judiciaires

Au début des procès, après les premières manifs et jusqu’aux dénonciations insistantes de maître B, une avocate qui fait un super boulot, toutes les peines étaient assorties d’une amende de 400 euros à verser à des policiers dont les avocats ne prenaient même pas la peine d’apporter les preuves des préjudices, le PV suffisait. Du coup les avocats de la partie civile ont quittés le genre judiciaire, c’est-à-dire leur boulot, défendre et argumenter en prouvant la culpabilité du Gilet jaune incriminé, pour tomber dans le genre épidictique (la brosse à reluire), le pire pour un avocat, c’est-à-dire passer tout le temps imparti à faire l’éloge de la police, à rappeler les traumatismes psychologiques dont souffrent les bacqueux, les gendarmes, les CRS ; leurs familles. Du coup les GJ doivent payer pour ces angoisses : en un samedi un bacqueu a gagné 600 euros en se portant partie civile dans deux affaires. C’est une justice qui désigne comme victimes des personnes dont les frais de justice sont déjà pris en charge par leur administration… exceptionnelles donc, ces amendes versées tous les lundis… Hier il n’y en a pas eu.

Exceptionnelle aussi cette condamnation unique généralisée d’interdiction de venir sur Lyon ou ailleurs les week-ends pendant six mois : cette peine a pris forme au fur et à mesure des procès. On le voit ici, il s’agit d’empêcher les gens de venir manifester le samedi. Au début les juges demandaient des retraits de permis de conduire alors même, qu’on le sait, c’est un peu la nécessité de se déplacer en voiture qui a lancé le mouvement : heureusement ces demandes n’ont pas été satisfaites et sont devenues ces interdictions de territoire certains jours !!

Exceptionnelle aussi cette justice qui condamne sur des intentions qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer puisqu’il n’y a pas d’enquête, puisque les intentions affirmées des prévenues sont méprisées.

Etc.

La mouche du tribunal
Lyon, le 11 février 2019

Annexes

En 2010, la CEDH a condamné la France pour ne pas permettre aux personnes gardées à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la procédure. Cette condamnation a mené à la réforme de la garde à vue de 2014 qui vise à mettre la procédure en conformité avec le droit européen.

Hier au tribunal, toujours la même avocate a dénoncé le traitement des personnes arrêtées ce samedi : en effet on a dissuadé les personnes en garde à vue de prendre un avocat. Argument invoqué par les services de police (éculé pour les habitués des GAV) « va falloir deux heures à un avocat pour venir, d’ici là vous serez sorti » du coup les Gilets jaunes arrêté·e·s n’ont pas appelé immédiatement un avocat et lorsque leur détention était prolongée ils/elles passaient cet appel. Du coup l’avocate est arrivée alors que l’audition de son client avait déjà commencé…

1. On nous dit que désormais les policiers sont équipés de GoPro ou l’équivalent jusqu’à ce jour les appareils sont en panne chaque fois qu’un, une avocat·e, a demandé les images. Les caméras de policiers ne pouvaient filmer car il y avait trop de gaz ou fumées… argument fallacieux démonté par l’avocate, puisque toutes les télés et journalistes et you tubeurs ont filmé nous a dit l’avocate qui avait pris soin de visionner les images proposées sur le net par des tas de gens :

2. Je rappelle qu’en cas de blessure il faut faire certifier par un médecin légiste les jours d’ITT, la gravité des blessures… (attention : ne pas confondre Arrêt de travail et Incapacité Temporaire de Travail) http://www.allo-medecins.fr/specialites/medecin-legiste-en-Lyon-069.html

3. Justice sociale : les quelques personnes précaires qui passent sont très mal considérées par le tribunal leur statut social est à charge aussi… hier un jeune homme qui a osé dire spontanément « j’ai arrêté ma mission intérimaire pour passer mon permis car j’ai quatre heures de déplacement, avec une voiture j’en aurais pour 20 minutes » a vraiment été jugé comme un délinquant social : « dans un monde où tant de gens rêvent d’avoir un emploi vous abandonnez le vôtre ». Il a beau répondre qu’il bosse pour une boîte d’intérim et que dans sa branche il retrouvera facilement du boulot, elles ne le croient pas… et comme elles n’ont rien à lui reprocher elles vont faire le procès de son engagement salarial, ça prend des proportions kafkaïennes au point que la salle s’énerve…

Oui il faut du monde au tribunal, oui il faut dénoncer cette justice au service de l’état et de la police oui il faut faire appel à un avocat lorsqu’on est interpellé, éviter de résister pour pas choper une rébellion et éviter les injures une fois qu’on est aux mains des policiers car ça se paie avec de l’argent !! Oui il faut contacter un médecin légiste quand on est blessé…

 

 

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