« On va mettre la clé sous la porte si ça continue » : cinq boulangers racontent comment l’inflation les met dans le pétrin

Article rédigé par  Pauline Lecouvé

France Télévisions
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Coincés entre des factures énergétiques qui flambent et des clients dont le pouvoir d’achat diminue, nombre de boulangers craignent de faire faillite.

« Un petit dessert aujourd’hui ? Non ? J’aurai essayé… » La caisse de Benoît Vidal affiche 1,15 euro, le prix d’une baguette. C’est l’unique achat que se permet ce client aujourd’hui. Pas de quoi renflouer les caisses de la boulangerie Maison Vidal, située à Tours (Indre-et-Loire). Son patron, boulanger-pâtissier, s’est installé avec sa compagne en novembre 2020, à la naissance de leur fille. Aujourd’hui, alors que son activité est mise à mal par l’inflation, il regrette ce choix. Et Benoît Vidal est loin d’être le seul dans sa situation. Franceinfo est allé à la rencontre de ces boulangers que l’inflation met en difficulté.

Laetitia Escuder en fait partie. Avec son mari, ils ont ouvert leur boulangerie à Bourg-en-Bresse (Ain) en octobre 2020. Elle est comptable de formation, lui, boulanger, qui rêvait de s’installer à son compte. Mais le rêve a viré au cauchemar lorsque les factures ont commencé à s’accumuler. Au point où le couple redoute d’être obligé de mettre la clé sous la porte d’ici quelques mois.

Des factures démultipliées

« Notre contrat de gaz s’est fini le 31 octobre. Le nouveau contrat que nous propose Engie est beaucoup trop cher », se désole Laetitia Escuder, factures à l’appui. En 2020, le prix du kilowattheure de gaz que leur avait proposé Engie, pour une durée de trois ans, était de 1,6 centime. Le nouveau contrat que lui propose le fournisseur s’élève désormais à 6,2 centimes. Pour la patronne, impossible d’assumer de telles charges« On essaye de tenir jusqu’à Noël, mais ensuite, je sais que ça va sûrement déboucher sur une cessation d’activité », estime-t-elle, résignée. Le couple espère revendre le fonds de commerce, mais ne se fait pas d’illusions. « On est mal situés aussi. On est entre deux Marie Blachère [une chaine de boulangeries] et un Carrefour…, explique Laetitia Escuder. On va mettre la clé sous la porte si ça continue comme ça. »

Alors pour tenter de sauver leur commerce, elle et son mari ont changé leur façon de travailler.

« On ferme un jour de plus dans la semaine pour allumer le four une fois de moins. On a augmenté nos prix de 10 centimes. »

Laetitia Escuder, boulangère à Bourg-en-Bresse

à franceinfo

Mais face au montant des factures, cela ne suffit pas, reconnaît la commerçante. D’autant plus que cette faible augmentation lui a déjà fait perdre des clients. « Si on appliquait sur nos prix les mêmes hausses que celles qu’on a vues sur nos factures, on serait déjà fermés », souffle-t-elle. « On voit bien que nos clients ont moins de pouvoir d’achat. Le petit plaisir, la petite pâtisserie avec la baguette, pour 95% de notre clientèle, c’est fini. » Faute de pouvoir augmenter les prix, et dans l’impossibilité de réduire ses factures, le couple n’arrive plus à se verser un salaire et vit sur son épargne personnelle. « On a trois enfants qui ont entre 7 et 16 ans, on ne peut pas continuer comme ça. On espère juste sortir de cette activité sans y laisser trop de plumes. »

A Tours, dans la boulangerie de Benoît Vidal, même son de cloche. « Rien que pour une augmentation de cinq centimes, on voit les gens partir ailleurs », enrage le boulanger-pâtissier. « La crise de l’inflation, on la prend de plein fouet », relate-t-il, alors que selon lui, ses factures de gaz ont été multipliées par deux en deux ans. Résultat, « on a quasiment plus de trésorerie. Ça fait six mois qu’on est dans le négatif sur notre compte pro, six mois qu’on ne s’est pas versé de salaire. » Avec l’augmentation du prix du gaz, mais aussi des matières premières, ses marges se sont également considérablement réduites.

« De plus en plus souvent, il y a des jours où on travaille à perte. »

Benoît Vidal

Cogérant de la boulangerie Maison Vidal, à Tours

Pour limiter la casse, lui aussi tente de s’adapter. Le boulanger préfère sous-produire, quitte à être à court de croissants dès 10 heures. « On est obligés de faire attention à ce qu’on produit pour ne pas avoir d’invendus à la fin de la journée. Parfois, les gens ne sont pas contents. Ils lâchent des mauvais commentaires Google… », glisse-t-il, désabusé.

Stress, tensions, fatigue…

Cette mauvaise humeur et les difficultés liées à la boulangerie ne sont pas sans conséquences sur la vie personnelle du couple Vidal. « On est stressés, donc forcément, on s’engueule plus souvent », reconnaît le boulanger, qui regrette de s’être installé à son compte en France. « On va payer notre crédit et on va se barrer à l’étranger, ça paye beaucoup mieux. Plus que quatre ans à tirer. » Un stress que partagent de nombreux autres patrons de boulangerie.

« C’est vrai que j’ai un peu plus de mal à dormir ces derniers temps », confie Francis Gros, patron de trois boulangeries à Aix-en-Provence. « On a une trésorerie qui fond. Si ça continue comme ça, je vais devoir vendre un établissement, regrette-t-il. C’est à l’opposé de l’esprit d’entrepreneuriat qui m’anime, c’est démoralisant. » Ce stress du quotidien face à l’inflation met aussi à rude épreuve les relations avec les clients et dans l’entreprise. « Comme la situation économique est compliquée, on est plus tendus. Ça crée même des tensions au sein de la boîte. On essaye de gérer ça au mieux », explique-t-il. Avec les clients, « on se prend tout de suite des remarques quand ils voient qu’on a augmenté nos prix », relate le boulanger. « On a de plus en plus de vols. Et pas seulement des jeunes… Ça fait mal au cœur de voir ça. »

« Je ne vais pas me jeter d’un pont tout de suite, je tiens, mais c’est vrai que c’est stressant. »

Francis Gros

Patron des boulangeries Goût de Pain, à Aix-en Provence

Mais l’entrepreneur ne se laisse pas abattre et cherche des solutions de toutes parts. « On travaille en heures super creuses la nuit pour économiser sur l’énergie. Mais la nuit, la main-d’œuvre me coûte plus cher. Au final, on économise d’un côté pour dépenser de l’autre, c’est un casse-tête. » Et puis, « pour limiter les pertes sur les sandwichs, etc., on travaille avec Too Good to Go », une application qui lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour faire des économies d’énergie, Francis Gros a même imaginé installer des panneaux photovoltaïques sur un de ses établissements. « Mais bon, vu l’investissement que ça demande, c’est impossible. On n’a pas la trésorerie, et pour un prêt, ce n’est même pas la peine. En ce moment, les banquiers sont très frileux avec nous », regrette-t-il.

Cette trésorerie qui fond est un vrai cercle vicieux, au point que le manque d’argent à investir risque de limiter le boulanger dans sa production. « A Aix, on a une spécialité, c’est la pompe à l’huile d’olive [un dessert provençal confectionné à l’occasion du réveillon de Noël]. L’année dernière, le litre d’huile était à 5,80 euros. Cette année, il est à 10, voir 11 euros. A ce prix-là, je ne vais pas pouvoir acheter autant d’huile que l’année dernière, je n’ai pas la trésorerie. Donc, on va produire moins de pompes, on va augmenter les prix, et on va en vendre moins, avec moins de marge », se désole Francis Gros, qui espère tout de même réussir à renflouer quelque peu sa trésorerie lors de la période des fêtes.

Des initiatives collectives pour essayer de limiter la casse

Dans la Manche, face à ces difficultés, les neuf boulangeries de Coutances ont choisi de se coordonner. Depuis le 1er septembre, toutes les boulangeries de la ville ferment deux jours par semaine, selon un roulement. Avec cette initiative, Jean-Michel Bellamy, patron de la boulangerie Au chant du Pain, espère redonner de l’attractivité au métier et mieux faire face aux augmentations du prix de l’énergie. « En février dernier, mes factures d’électricité ont été multipliées par deux, ça nous a bien foutu dedans niveau trésorerie », se rappelle-t-il. En effet, la boulangerie de Jean-Michel Bellamy n’a pas pu bénéficier du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement. Ce dispositif, qui limite à 15% la hausse des prix de l’électricité, mis en place en 2021 pour les particuliers, est accessible aux TPE depuis janvier 2023, mais sous réserve d’avoir un compteur électrique d’une puissance inférieure à 36 kilovoltampères. Les boulangeries qui disposent d’un four électrique très gourmand en énergie se retrouvent ainsi sur le carreau.

Malgré cela, la boulangerie Au chant du pain tient le coup, estime son patron. « On a augmenté les prix de nos produits de 5 à 10% et on a réduit nos marges », explique-t-il. « Ça va parce que je suis bien installé, mais c’est sûr que les boutiques qui tournent tant bien que mal ne peuvent pas faire face, elles mettent la clé sous la porte. Ça fait le tri », reconnaît-il. Seules, les boulangeries ont en effet peu de poids pour négocier leur contrat d’énergie, et celles aux trésoreries les plus précaires risquent de faire faillite. Pour éviter cela, en Ile-de-France, le syndicat des boulangers du Grand Paris a trouvé un prestataire et négocié avec lui afin d’obtenir de meilleurs prix pour ses adhérents. Arnaud Delmontel, patron de trois boulangeries à Paris, est en passe de basculer chez ce nouveau prestataire. « Ma facture va un petit peu baisser et, surtout, je vais gagner en stabilité », se réjouit-il à l’approche des fêtes.

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