Qu’ils retournent en Afrique

T-shirt nazi, stickers racistes et tag anti-LGBT : plongée dans les placards de jeunes disciples du sénateur Stéphane Ravier

Cinq militants de Défends Marseille, une organisation de jeunesse et soutien de l’élu Reconquête des Bouches-du-Rhône, seront jugés le 14 mai pour « injure à caractère raciste » après le déploiement d’une banderole lors d’un concert de SOS Méditerranée en juin 2023.

Jean-Marie Leforestier (Marsactu)

Marseille (Bouches-du-Rhône).– C’est une plongée dans tout ce qui compose l’extrême droite, que la justice a débusquée sans jamais s’y intéresser. En perquisitionnant le domicile de cinq jeunes militants de Défends Marseille, présentée comme l’organisation de jeunesse du sénateur Reconquête des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, des policiers ont archivé des dizaines de stickers et autres éléments référençant les organisations et les slogans de cette famille politique, de référence nazie en tag anti-LGBT.

L’un des éléments les plus marquants est sans doute un t-shirt portant mention du leader nazi belge de la Seconde Guerre mondiale Léon Degrelle, de son parti Rex et d’une citation de l’intéressé : « Nous n’avons qu’un désir, c’est que cet esprit-là renaisse. » Une formule qui se rapporte à un texte de celui qui fut condamné à mort à la Libération (mais qui trouva refuge en Espagne), dans lequel il regrette la perte de la guerre quand une victoire aurait permis d’octroyer « à la race blanche, la première des races, la grande domination de l’esprit ».

Léon Degrelle est une figure vénérée par l’extrême droite et notamment par Jean-Marie Le Pen, mentor de Stéphane Ravier, qui l’avait qualifié dans les années 1990 de « monument de la Seconde Guerre mondiale ». En l’occurrence, ce t-shirt n’est pas porté à n’importe quelle occasion. Il l’est au moment où plusieurs militants de Défends Marseille conçoivent une banderole prévue pour être hissée sur un toit face au concert de soutien à l’association de sauvetage de migrants en mer SOS Méditerranée.

La banderole déployée par les militants identitaires de Défends Marseille le 25 juin 2023. © Photo compte X Stéphane Ravier

Le 24 juin 2023, le message « Qu’ils retournent en Afrique » flottait juste devant l’esplanade du J4, à proximité du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Les cinq vingtenaires ont été interpellés sur site et placés en garde à vue. À l’issue de celle-ci, cette expression a été considérée comme une injure publique en raison de l’origine par le parquet de Marseille. Ils comparaîtront devant le tribunal judiciaire le 14 mai pour ces faits.

Stéphane Ravier, premier soutien des militants mis en cause

En garde à vue, tous revendiquaient fièrement leur appartenance à Défends Marseille, la plupart mentionnant d’ailleurs leur soutien à Stéphane Ravier. Interrogé sur cette affaire, l’entourage du sénateur a indiqué qu’il n’y aurait pas de commentaire avant l’audience. Le sénateur, membre de Reconquête, s’était investi à leurs côtés, saluant « un acte d’héroïsme ». Durant leur garde à vue au commissariat, il avait fait jouer le droit de tout parlementaire à visiter les lieux de détention et ainsi pu « les apercevoir ». Il les avait ensuite accueillis à leur sortie, jugeant disproportionné le traitement qui leur était infligé, notamment les perquisitions de leurs domiciles.

Toutefois, celles-ci n’ont pas été réellement exploitées par les enquêteurs. S’ils ont pris en photo tous les attributs politiques qu’ils voyaient, ils ne se sont que peu intéressés à leur sens et ont seulement relevé les plus explicites. Il en va ainsi d’une photo d’un autocollant « Brigade anti-nègres », agrémenté d’une caricature toute coloniale d’un homme noir barré d’un trait. Ou d’une photo d’un des mis en cause tout sourire à côté d’un tag « LGBT en prison » et d’une croix celtique, symbole du suprémacisme blanc, entourée d’un cœur.

Mais les investigations évitent le décryptage de l’ensemble des stickers archivés, pourtant instructifs. Ils dessinent d’abord toute une galaxie d’extrême droite, avec des organisations dont on sait qu’elles sont proches du sénateur, de l’Action française au Bastion social (dissous en 2019 en conseil des ministres), en passant par la Cocarde étudiante. Mais ils mettent aussi en avant d’autres moins citées dans l’entourage du sénateur comme Active Club, un ensemble de groupuscules mêlant nationalisme et combat, fondé par un suprémaciste blanc américain. Ses membres ont d’ailleurs arpenté la Sainte-Victoire en mars, comme l’a rapporté Libération.

C’est aussi le cas de An Tour Tan, un groupe breton dont les membres avaient parcouru les rues de Paris vêtus de noir, en rangs serrés et masqués en arborant, là encore, des croix celtiques. Il y a aussi Les Remparts, un mouvement lyonnais objet d’une très récente procédure de dissolution. On trouve enfin un slogan « White Boy Summer », utilisé en opposition au mouvement Black Lives Matter, dont la genèse a été largement décortiquée par Libération. En France, il avait notamment été repris par l’ancien militant de Génération identitaire passé à Reconquête, l’influent Damien Rieu.

Faux-semblants en garde à vue

Malgré cet arrière-plan politique particulièrement clair, les mis en cause se sont montrés beaucoup plus policés face aux policiers. Les gardes à vue ont révélé un discours identique pour chacun, teinté d’une certaine stratégie de dissimulation quant aux raisons de leur action.

« Nous avions la volonté que les migrants restent dans leur pays pour le développer, je n’aime pas l’idée qu’ils viennent ici en sachant qu’ils seront mal accueillis », témoigne l’un d’entre eux, secouriste. « Nous pensons de manière bienveillante qu’ils doivent rester dans leurs pays pour le développer et s’y épanouir », avance un étudiant en droit. « Étant catholique, je vis charnellement la misère d’autrui et particulièrement des migrants que je peux observer ici à Marseille », ose Aurélien Macé dit « Barkovish », responsable de Défends Marseille, dont le seul téléphone inspecté par la police contenait une carte prépayée et était vierge de toute photo.

Ce quincaillier de 25 ans, qui n’a pas souhaité s’exprimer « avant le procès », rappelle que la formule déployée est inspirée de celle d’un député du RN à l’Assemblée nationale. Quelques mois plus tôt, Grégoire de Fournas avait lancé cette même phrase – sans que l’on sache si son expression était au pluriel ou au singulier – au moment où s’exprimait le député noir de La France insoumise Carlos Martens Bilongo. Elle lui avait valu d’être suspendu. Le jour même de l’action, pourtant, sur les réseaux sociaux, Aurélien Barkovish explicitait cette parole en des termes plus radicaux. « Si nous parvenons à stopper ce virus [de l’immigration – ndlr] à Marseille, l’hémorragie sera arrêtée net », affirmait-il.

« L’expression d’un racisme décomplexé »

Devant le tribunal, l’avocat des militants, Julien Pinelli, estime qu’il faudra pour la justice faire fi de ce contexte pour se rapporter aux faits.

« La question n’est pas de savoir si mes jeunes clients s’intéressent à une pensée xénophobe, mais bien de savoir si, à un instant donné et en un lieu donné, ils se sont rendus coupables de l’infraction qui leur est reprochée, explique-t-il à Marsactu. Il n’y a pas de terme outrancier de façon intrinsèque, pas de jugement de valeur, rien d’humiliant à rappeler que ces personnes viennent du continent africain. Je ne veux pas vivre dans une société dans laquelle on vous interroge sur votre pensée politique lorsque vous avez à répondre d’une infraction pénale. Personne n’admettrait que le tribunal vienne sonder les consciences et je n’ai aucune raison de penser que ce sera le cas à cette audience. »

Il trouvera face à lui comme partie civile la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), bien décidée à faire prendre conscience au tribunal de l’ampleur de ce dossier : « Il faut prendre très au sérieux les groupuscules d’extrême droite radicaux, estime l’avocat de l’association, Serge Tavitian. Car malgré leur discours rodé et manifestement préparé devant les policiers expliquant que leur souci était l’épanouissement des Africains dans leurs pays, la vérité du dossier, qu’il ne m’appartient pas de révéler ici, est l’expression d’un racisme décomplexé et d’un appel au rejet destiné à la jeunesse qui assistait à ce concert caritatif. »

Jean-Marie Leforestier (Marsactu)

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