Covid : la commission d’enquête du Sénat accable Jérôme Salomon

Les sénateurs ont rendu ce jeudi leur rapport sur la gestion de la crise du Covid. Parce qu’il ne comptait pas reconstituer un stock d’Etat de 1 milliard de masques, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, a obtenu en 2019 du directeur de Santé publique France qu’il intervienne pour modifier un rapport d’expert qui allait à l’encontre de cette décision.
La commission d’enquête sénatoriale sur la crise du Covid a remis son rapport ce jeudi. (Thomas SAMSON/AFP)
Publié le 10 déc. 2020 

Le grand déballage public sur la gestion des masques avant et pendant la crise du Covid n’était pas terminé. Les sénateurs de la commission d’enquête sur le Covid ont publié leur rapport ce jeudi. Ils y apportent de nouvelles pièces à conviction qui accablent l’administration. Et, en particulier, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon.

Les sénateurs ont eu accès à des échanges de courriels. Ils montrent que pendant plus d’un mois, en janvier-février 2019, Jérôme Salomon a fait pression sur le directeur de Santé publique France, François Bourdillon, afin qu’il fasse modifier un rapport commandé à un expert, comme l’a révélé « Le Monde » mercredi soir. Ce rapport contrariait le choix politique consistant à laisser se vider les stocks d’Etat de masques, pour les remplacer par des stocks tournants bien plus limités, et déléguer la gestion des masques aux collectivités ou aux hôpitaux.

Eviter des difficultés budgétaires

A l’origine, le rapport Stahl mettait en avant les faibles capacités d’approvisionnement de la France, pour recommander de reconstituer un stock de précaution de 1 milliard de masques, soit 20 millions de boîtes. Mais lors de sa publication, en mai 2019, la mention de ce stock a disparu. A la place, il n’y a plus qu’une estimation du « besoin » : « En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30 % de la population. L’importance du stock est à considérer en fonction des capacités d’approvisionnement garanties par les fabricants », se contente d’écrire l’expert.

Après avoir exposé ses réticences et traîné des pieds, François Bourdillon écrit à Jérôme Salomon : « Voici donc en retour l’avis dans lequel j’ai retiré […] toute allusion à un stock chiffré notamment pour les masques ». Dans un précédent courriel, Jérôme Salomon avait justifié sa demande ainsi : « Je souhaite éviter de nous mettre en situation de prendre des décisions précipitées, qui pourraient nous mettre en difficultés collectivement, y compris sur le plan budgétaire ».

Jérôme Salomon, le directeur général de la santé.

Jérôme Salomon, le directeur général de la santé.Jacques Witt/SIPA

En octobre 2018, le directeur général de la santé avait ordonné à Santé publique France de commander 50 millions de masques seulement (la commande, rehaussée de 50 millions d’unités, mettra neuf mois à être passée), tout en commençant à détruire les stocks non-conformes ou périmés, soit 613 millions d’unités.

Agnès Buzyn dédouanée

« L’absence de masques chirurgicaux pendant la crise vient de cette décision de 2018 », et non pas de la nouvelle doctrine de 2011, a pointé la sénatrice LR Catherine Deroche, co-rapportrice de la commission d’enquête. Le 15 juin, a-t-elle rappelé, l’Etat a péniblement acquis 4 milliards de masques pour 2,8 milliards d’euros, qui ont mis des semaines à arriver, étaient parfois de qualité médiocre et ont coûté trente fois plus cher dans certains cas. « Si on avait reconstitué les stocks en 2018, le coût aurait été de 27 millions d’euros », a-t-elle souligné.

Si elle n’est pas tendre avec Jérôme Salomon, la commission d’enquête dédouane en revanche la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, qui affirme ne pas avoir connu l’état des stocks jusqu’à cette année.

«Le Directeur général de la Santé tient à préciser qu’il a lui-même fourni l’ensemble des échanges de mails aux membres de la commission d’enquête du Sénat», s’est justifiée l’administration du ministère de la Santé dans un communiqué jeudi soir, soulignant ainsi sa « volonté totale de transparence »

Un Conseil scientifique permanent et indépendant

A l’issue de leur enquête, les sénateurs ne plaident pas pour ressusciter l’Eprus, l’Etablissement de préparation et de réponse à l’urgence sanitaire, ce qui reviendrait à démembrer Santé publique France. Ils préfèrent que l’agence soit mieux dotée afin d’assurer ses missions, et demandent une « clarification des responsabilités avec la tutelle ministérielle ».

Ils souhaitent aussi que soit créée une instance nationale d’expertise scientifique permanente et indépendante, qui conseillerait le gouvernement en cas d’épidémie, d’explosion dans une usine qui polluerait l’environnement, etc. « Ce conseil scientifique monté au débotté n’était pas forcément adapté à la situation », explique Catherine Deroche, qui considère qu’il a un peu trop intégré les contraintes gouvernementales, par exemple le rationnement en masques ou en tests.

Les sénateurs se distinguent des députés en ne demandant pas la suppression des agences régionales de santé mais, au contraire, le renforcement de leur échelon départemental. Ils regrettent enfin que la Conférence nationale de santé n’ait pas été mobilisée, et que la société civile n’ait pas été entendue dans cette crise. La gestion de l’épidémie ne doit pas être « l’apanage d’un chef de l’Etat et d’un Conseil de défense dont les comptes rendus des travaux ne sont pas publics », sermonne Bernard Jomier. « Le gouvernement a multiplié les instances ad hoc à la légitimité fragile, ce qui a compromis la réponse et le lien de confiance avec les Français », a-t-il ajouté, appelant à « un nouveau départ » pour la santé publique.

Solveig Godeluck

 

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